La récente parution de Jours de pouvoir de Bruno Le Maire m’a incité à me plonger dans ce précédent ouvrage sur lequel je lorgnais avec envie depuis longtemps. Si les deux ouvrages se distinguent par leur chronologie (Jours de pouvoir est consacré aux années 2010-2012 pendant lesquelles Bruno Le Maire a été ministre sous Nicolas Sarkozy), leur forme est identique. Dans les deux cas il s’agit du journal de Bruno Le Maire qui nous entraine dans les coulisses de la politique. Ce journal couvre la période allant de la nomination de Dominique de Villepin au poste de premier ministre à l’élection de Nicolas Sarkozy à celui de président de la République.
Bruno Le Maire, alors proche conseiller du futur premier ministre, devient son directeur de cabinet et assiste, depuis ce poste privilégié, au déclin physique du président Jacques Chirac, à l’échec cuisant du CPE. Véritable Bérézina qui entrainera Dominique De Villepin dans les abîmes des sondages ruinant ainsi toutes ses chances pour l’élection présidentielle et offrant ainsi une voie royale à l’autre candidat de droite, son pire ennemi, Nicolas Sarkozy.
Nous l’avons vu dans le billet consacré à Musique absolue, Bruno Le Maire est un lettré. Au plaisir de découvrir l’envers du décors, s’ajoute celui de la lecture de textes bien écrits et de citations – j’ai noté une vingtaine de passages. Pour illustrer la violence du monde dans lequel il évolue, il cite dans Lettres à Milena1 la réaction qu’elle eu à l’annonce de la mort de Franz Kafka.
Il était trop lucide, trop sage pour pouvoir vivre, trop faible pour combattre, faible comme le sont des êtres beaux et nobles, qui sont incapables d’engager le combat avec la peur qu’ils ont de l’incompréhension, de l’absence de bonté, du mensonge intellectuel, parce qu’ils savent d’avance que ce combat est vain et que l’ennemi vaincu couvre encore de honte son vainqueur. Il connaissait les hommes, comme seul peut les connaître quelqu’un de grande sensibilité nerveuse, quelqu’un qui est solitaire et qui reconnaît autrui à un simple éclair dans son regard. Il connaissait le monde d’une manière insolite et profonde, lui-même était un monde insolite et profond.
Ceux qui ont vu le film La Conquête revivront les mêmes évènements sous un point de vue différent, celui de l’autre camp de la droite. On se rend compte de la difficulté de l’exercice du pouvoir dans le contexte de la politique française, avec toujours les élections en point de mire. On sent bien que le gros enjeu n’est pas la France, mais la réélection pour alimenter les affamés de son camp, là est le seul objectif, le reste n’a que peu d’importance. Bruno Le Maire communique la frustration que peuvent ressentir ceux qui ont une haute idée de l’État lorsqu’ils doivent sacrifier leurs convictions pour remplir les urnes.
[Nicolas Sarkozy parle] Moi, depuis 2002 je demande des baisses d’effectifs, on me les refuse, le Président me dit : “Doucement, Nicolas !” Et là, la dernière année, un an avant les présidentielles, six mois même, six mois, on supprime quinze mille postes ! Il y a trois millions de fonctionnaires dans notre pays, il y a les familles, les cousins, les cousines, vous allez leur expliquer, hein ?
Churchill ne disait-il pas “La démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire.” ?
Bruno Le Maire, Des hommes d’État, Pluriel, 2010, 448 p, Amazon.