Le public n’en revient pas de ce qu’il a entendu. À la dernière mesure, il n’applaudit pas, il reste muet, on entend juste le souffle du micro, ensuite seulement quelques applaudissements partent, des applaudissements timides, puis encore un silence, et la salle explose en salves longues et bruyantes. Munich. 7 novembre 1983. Symphonie n°6 de Beethoven dite Pastorale. Si vous me demandez quel est mon enregistrement préféré de Carlos Kleiber, vous avez votre réponse.

On connaît Bruno Le Maire l’homme politique, directeur de cabinet de Dominique de Villepin ou plus récemment ministre de l’agriculture et même dernièrement candidat à la présidence de l’UMP – ah non, c’est vrai qu’il n’y en avait que deux. Ce que l’on sait moins, c’est qu’avant de faire Siences Po et l’ENA, il étudia la littérature française à l’école normale supérieure. Il consacra son mémoire à Proust sous la direction de l’un des plus grands spécialistes du grand écrivain, Jean-Yves Tadié et présenta l’agrégation de lettres modernes en 1992 et fut reçu premier. Sachant cela, on comprend mieux l’origine de son style simple, mais élégant et fluide, extrêmement agréable à lire.

Ce petit livre publié dans la collection “l’Infini” chez Gallimard n’est pas une biographie mais un roman consacré au chef d’orchestre autrichien Carlos Kleiber. Moins connu que son contemporain Herbert von Karajan, il n’en reste pas moins l’un des plus grands chefs d’orchestre du XXème siècle. Bruno Le Maire a choisi de le raconter au travers d’un entretien fictif accordé par un musicien devenu l’ami du maestro a un jeune journaliste français – Kleiber n’a jamais accordé d’interview. La vie du chef d’orchestre est effleurée, survolée et racontée par petites touches pour faire apparaître l’essence de ce qui faisait cet homme: la musique. Le reste n’est rien. Peut-être malgré lui, il exerçait cette fascination qu’exercent les génies. Ecrasé par la figure paternelle – Erich Kleiber son père était lui aussi un grand chef d’orchestre – doté d’un esprit tourmenté, d’un humour ravageur et d’un génie indéniable, il a vécu pour elle seule.

À la longue, cette rigueur a produit des effets désastreux sur sa santé mentale, car il mesurait le gouffre qui séparait ses exigences de ce que ses musiciens pouvaient produire, et ce gouffre, loin de pouvoir le combler avec ses répétitions, il le creusait davantage encore.

Tout est dit dans ces 112 pages, mais il faut être attentif, chaque phrase, chaque mot a son importance. Il ne faut donc pas hésiter à s’attarder, prendre son temps, relire et profiter car, je le redis, l’écriture est belle. En plus de m’avoir procuré un très grand plaisir de lecture, ce livre m’a donné envie de voir et d’écouter Carlos Kleiber. L’objectif n’est-il pas atteint ?

N’hésitez pas à visionner une vidéo, si possible une répétition de 1970 – comme celle-ci par exemple –, du chef d’orchestre afin de rencontrer le personnage et vous apercevoir que la description de Bruno Le Maire est parfaitement réussie.

De profil, son nez fendait la lumière artificielle de la salle de répétition comme un bec de rapace et son oeil brillait. […] Au même âge, lui avait des cheveux de jais, que sa main droite rabattait en arrière pendant les répétitions, sans parvenir à les discipliner. Pendant les répétitions, il portait des polos de coton noir qui serraient le haut de ses biceps et donnaient de la longueur à ses bras.


Bruno Le Maire, Musique absolue: Une répétition avec Carlos Kleiber, Gallimard, coll. « L’Infini », 2012, 112 p, Amazon.