La mort d'un père

Et pour moi ? Qui papa avait-il été ? Quelqu’un dont je souhaitais la mort. Alors pourquoi toutes ces larmes ? Il y a des moments dans la vie qui marquent. Perdre son père, la figure de l’autorité, en est un. Il revêt peut-être une plus grande importance encore lorsque l’on est jeune homme et que l’on est, ou que l’on s’apprête à devenir, père soi-même. La vie est un combat – ou plutôt un compat comme le disais la grand-mère de l’auteur qui ne savait pas prononcer les b. Son combat Karl Ove Knausgard a choisi de le raconter au travers d’une série de six volumes. Il est inscrit roman sur la couverture, mais le personnage principal et narrateur portant le nom de l’auteur laisse peu de doute au fait que nous ayons à faire à une autobiographie. ...

Où es-tu, monde admirable ?

Je poursuis – et termine pour l’instant – ma période Sally Rooney en enchaînant après la lecture de Conversations entre amis, celle de son dernier livre, Où es-tu monde admirable ?. Il sont à la fois similaires et bien différents. Du coté des similitudes, on retrouve le quatuor de personnages, l’amitié à la frontière de l’amour et du sexe, le personnage de l’écrivaine, la génération des personnages et l’époque dans laquelle ils vivent. Et j’oubliais le communisme. Pourquoi, cette vielle doctrine se retrouve-t-elle dans les livres de l’autrice irlandaises, reviendrait-elle à la mode ? ...

La Contrevie

Dernier tome de Zuckerman avant les volumes rassemblés dans le Quarto1. Comme souvent chez Philip Roth, le sexe et la religion sont les sujets prédominants. Je me disais, conformément à ma pente naturelle, s’il y a un dieu qui joue un rôle dans notre monde, je veux bien bouffer tous les chapeaux de cette ville – et cependant je ne pouvais me défendre d’être pris aux tripes par ces adorateurs de la pierre qui incarnaient pour moi ce qu’il y a de plus effroyablement attardé dans l’esprit humain. ...

Conversations entre amis

Nous avions élaboré une blague là-dessus, qui pour tout le monde – à commencer par nous – était incompréhensible. Qu’est-ce donc vraiment qu’un ami ? Demandait-on avec humour. Qu’est-ce donc vraiment qu’une conversation ? J’ai aimé ce roman d’une façon irrationnelle. Je ne suis pourtant pas le coeur de cible – je ne parle que de l’âge – et pourtant j’ai été sensible à tous les personnages qui composent ce quatuor amoureux très intellectuel. Je me rends compte que je n’ai pas trop de références pour en parler, ou alors toujours la même qui me vient à l’esprit – désolé –, usée jusqu’à la corde, Bret Easton Ellis – là je suis plus dans le coeur de cible. Il y a une certaine similitude avec des livres comme Moins que zéro ou Les lois de l’attraction des romans de fin d’adolescence, d’entrée dans l’âge adulte – la drogue et la paranoïa en quantité bien plus limitées quand même. Autres temps, autres mœurs, au lieu d’être immergé au sein d’un groupe des années 90, c’est trente ou quarante ans plus tard, les comportements et les préoccupations ont changé. Allez, je lâche le mot que l’on entend toujours lorsque l’on parle de Sally Rooney, les milléniaux (millennials), ils ont remplacé l’ancienne génération et ont évidemment leurs préoccupations, leur mode de vie, connaissent pour certains ces moments difficiles qui marquent l’entrée dans l’âge adulte. Au sein de ce groupe, la frontière entre amitié et amour est floue et mince, le roman tourne beaucoup autour de cette notion, la monogamie ne semble plus être qu’un vestige du passé. ...

Vol de nuit

Vol de nuit est l’un des mes livres préférés. Dans un livre sur l’aviation, l’Aéropostale en l’occurrence, on s’attend à lire le récit des pilotes héroïques bravant les éléments. Il y a de ça, mais le vrai héros du livre est Rivière, le directeur. Son point de vue semble être de transcender les hommes et les femmes avec lesquels il travaille, il veut dépasser le statut de l’individu pour qu’il s’efface derrière l’entreprise à laquelle il contribue. ...

Trente ans et des poussières

Trente ans et des poussières et pas une ride – je dis ça car le livre a lui aussi désormais trente ans et des poussières (1992). Le tout début correspond exactement à ce à quoi je m’attendais. Les années 80, ça sent la cigarette et l’alcool, c’est revigorant, la vie décadente – on est assez loin du healthy des années 2020. La soirée se brisa en petits morceaux, mosaïque d’éclats brillants aux formes bizarres coagulés par l’alcool. ...

Le mage du Kremlin

Giuliano da Empoli, lui-même ancien conseiller politique, s’intéresse à ces éminences grises qui accompagnent les femmes et les hommes au pouvoir que l’on nomme communément des spin doctors. On peut même dire qu’il est spécialiste du sujet puisqu’avant d’écrire ce roman, il leur a consacré un essai intitulé Les ingénieurs du chaos1. On l’appelait le “mage du Kremlin” , le “nouveau Raspoutine”. Ce personnage de fiction se nomme Vadim Baranov. J’ai cru qu’il avait été inventé de toute pièce par l’auteur pour servir de fil conducteur à ce roman, mais j’ai appris qu’il puise sa source d’inspiration – jusqu’au mimétisme – chez Vladislav Sourkov qui est considéré à en croire Wikipédia comme “le principal idéologue du Kremlin des années 2000” et comme l’homme ayant théorisé la verticalité du pouvoir. Dans le roman – comme dans la réalité – il murmure à l’oreille du Tsar, Vladimir Poutine. Bien que terminé début 2021, ce livre est malheureusement plus que jamais d’actualité. Il permet de retracer assez fidèlement – pour autant que je puisse en juger – les événements allant de la dissolution de l’URSS aux prémices de la guerre. ...

Les choses humaines

Je ne sais pas si le sous-genre existe, mais je parlerais volontiers pour ce livre de trib lit ou littérature de tribunaux. Les passages se déroulant dans un tribunal ne couvrent pas la totalité du livre, mais une bonne partie qui est plutôt convaincante, comme le reste du livre d’ailleurs. Karine Tuil s’est inspirée d’un fait divers qui a eu lieu à Stanford en 2016 pour embrasser d’une façon plus large la prise de conscience et de parole connue sous le nom de Me Too ou de l’explicite BalanceTonPorc en version française. Je trouve sa position en tant qu’auteur (ou autrice) parfaite. Elle dépeint une situation suffisamment ambiguë pour que le lecteur puisse non seulement se faire sa propre idée, mais aussi saisir la complexité de certaines affaires et cheminer sur l’étroite ligne de crête qu’il faut emprunter pour tenter de faire la lumière. ...

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes

Lionel Shriver a une réputation d’anticonformiste et c’est cette réputation qui m’a poussé à lire son dernier livre – j’ai un petit penchant même pas coupable pour les pourfendeurs de la bien-pensance ambiante. Son personnage principal est de la même trempe qu’elle – oui elle a un prénom masculin – en plus d’être une avant-gardiste. Elle a arboré un tatouage à l’époque où ces attributs n’était arborés que par des minorités et bien avant que tout un chacun se couvre le corps de mandalas. Il en va de même pour le sport qu’elle pratique assidûment depuis toujours, bien avant que le fait de ne pas sortir faire son jogging hebdomadaire vous fasse passer pour un junkie déprimé. Elle se déplace exclusivement et depuis toujours à vélo lorsque ce moyen de locomotion n’était utilisé que par les plus modestes qui se déplacent désormais en voiture, le vélo étant entre les mains des urbains responsables actant – tout en étant parfaitement dans la tendance – activement contre le réchauffement climatique. À ce propos, le parcours de la piste cyclable à New York est hilarant. Alors, lorsque son mari, pas particulièrement sportif, se met en tête de courir un marathon, coaché par une femme sculpturale qui à l’âge d’être sa fille, s’en est trop. ...

La Salle de bain

La Salle de bain le premier livre publié de Jean-Philipe Toussaint et le premier que j’ai lu. Avec les sorties récentes de La clé USB et de sa suite, Les Émotions1, j’ai eu envie de revenir aux origines pour me faire, avec le recul des années, une idée peut-être différente. A l’époque j’avais dû apprécier cette lecture puisque j’ai beaucoup lu Toussaint par la suite. Si ma lecture date d’une quinzaine ou d’une vingtaine d’années, la publication du livre est beaucoup plus ancienne car elle remonte à 1985. Époque à laquelle les Éditions de Minuit étaient dirigées par Jérôme Lindon – voir le petit livre Jérôme Lindon que lui a consacré un autre grand auteur de la maison, Jean Echenoz. D’ailleurs à la fin de cette édition de poche (collection “double”) figure un court texte de l’auteur, intitulé Le jour où j’ai rencontré Jérôme Lindon,relatant à la fois sa rencontre avec le grand éditeur et sa joie d’être publié. ...

Les Furies

Lauren Groff est une romancière américaine. Les Furies est l’un de ses romans les plus connus. Il est consacré à une histoire d’amour. Jusqu’ici rien de bien original. Sa particularité est qu’il est tourné sur le fond et sur la forme vers le théâtre et plus précisément vers la tragédie. Le roman est prenant, Lauren Groff joue avec le lecteur en lançant des fausses pistes – souvent et avec ce contre-pied elle semble nous dire “voilà la voie que j’aurais pu suivre si j’avais été une romancière conventionnelle”. Elle utilise un procédé que j’ai rarement vu dans les romans. Un autre narrateur, ou plus probablement elle-même, intervient parfois, entre crochets, pour donner des indications, contredire ou révéler en avance des éléments de l’intrigue. Ce procédé est loin d’être accessoire car le fait de l’utiliser avec parcimonie et à bon escient le rend très pertinent. Un roman intéressant, assez baroque, mas pas une révélation pour moi. ...

Bénie soit Sixitine

Maudits soient les clichés, les stéréotypes et les poncifs et ce livre en est bourré. Les catholiques intégristes existent, mais ceux de ce livre cochent toutes les cases. S’il n’y avait qu’eux, il en va de même pour l’extrême droite et l’extrême gauche et même pour les gens du sud – même si ces derniers sont notoirement moins dangereux. Sixtine ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire en entendant le fort accent du Sud-Ouest de Lydie. Un accent vivant, vibrant, intense. Bien sûr, tout cela est très vulgaire, mais aussi assez charmant. ...

Légende

J’avais tellement aimé Par les routes que je me suis mis en quête d’autres livres de Sylvain Prudhomme, et dans ce Légende aussi le protagoniste est photographe. La pensée l’avait traversé que la pluie était là précisément pour ça: empêcher qu’il photographie. Les désarmer Matt et lui. Les obliger à cesser de capturer, d’immortaliser, de figer. Les forcer simplement à vivre, s’abandonner, être tout entiers aux choses. De ces jours il n’y aurait pas d’image. Ni film de Matt ni photos de Nel. C’était très bien ainsi. ...

Soeur

J’ai clairement lu Soeur par curiosité pour le travail d’Abel Quentin après la lecture enthousiasmante de son dernier livre Le Voyant d’Étampes – Soeur est son premier livre. C’est l’histoire d’une radicalisation – c’est le terme communément utilisé, à tord ou à raison, pour décrire le phénomène qui consiste à rejoindre le djihad – née d’une frustration. Une frustration qui ressemble à une méga crise d’adolescence. Ils veulent qu’on leur foute la paix, ils ne demandent qu’à tracer leur route de consommateur-jouisseur, version moderne du chasseur-cueilleur. ...

L’Étranger

Tout a été dit sur ce livre, je vais donc m’efforcer de ne pas trop en rajouter, mais plutôt de faire part de mon expérience de lecture, de mon ressenti – et peut-être un peu aussi des circonstances de cette lecture. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis quelques années, j’aime trouver mes lectures par hasard sur mon lieu de vacances parmi les vieux livres de poche que les gens relèguent dans leur résidence secondaire ou disposent à dessein pour les visiteurs. Et cette fois, je suis tombé dans deux maisons différentes sur L’Étranger, pour être plus précis sur un vieux Folio portant le numéro 2. Vous allez me dire qu’il s’agit d’un des livres les plus lus et les plus achetés – c’est le deuxième livre le plus vendu après Le Petit Prince – il figurait notamment au programme des lycéens, mais j’ai tout de même pris ça comme un signe ou plutôt comme une forte incitation à le lire. Avant d’en venir à mes impressions, je dois confesser les raisons qui ont fait qu’à mon âge avancé j’étais passé à côté de ce classique moderne. A vrai dire, je ne sais pas comment j’ai pu passer au travers pendant ma scolarité, mais je sais pourquoi je ne l’avais pas lu par la suite. J’avais tout simplement considéré à tord que ce livre était trop triste après avoir lu les premières phrases, l’incipit. ...

Le Voyant d’Étampes

Pour bien comprendre ce livre il faut commencer par quelques définitions. Woke: Le terme anglo-américain woke (“éveillé”) désigne le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale (source). Cancel culture: La cancel culture (de l’anglais cancel, “annuler”), aussi appelé en français culture de l’effacement ou culture de l’annulation, est une pratique apparue aux États-Unis consistant à dénoncer publiquement, en vue de leur ostracisation, des individus, groupes ou institutions responsables d’actes, de comportements ou de propos perçus comme inadmissibles (source). ...

Suite(s) impériale(s)

En terminant la lecture de ce livre, j’ai quasiment bouclé celle de l’intégralité de l’oeuvre de Bret Easton Ellis – à l’exception de son recueil de nouvelles Zombies. Suite(s) impériale(s) est donc la suite – le jeu de mot du titre n’existe que dans sa version française – de son premier roman Moins que zéro. C’est une sorte de Vingt Ans après ou un bal des tête à la Proust. Avec les années et leur vies disons dissolue, ils ont dérouillé – l’argent peut parfois s’avérer nocif. ...

L’historiographe du royaume

Un roman érudit consacré à l’histoire récente du Maroc en couvrant une partie du règne d’Hassan II, pourquoi pas ? Le point de vue est original puisqu’il est celui d’un camarade de classe issu d’une famille modeste qui accompagnera le roi jusqu’à occuper le poste d’historiographe du royaume. Ce poste ou ce titre rappelle celui d’historiographe du roi qu’ont occupé avant lui des personnages célèbres comme Racine qui fut celui de Louis XIV, ce parallèle avec la monarchie française et d’ailleurs longuement évoqué au cours du livre. Le dispositif – puisqu’il s’agit bien de cela – est d’utiliser la forme des mémoires fictionnelles. Si l’idée est intéressante, ce procédé confère au roman un style un peu trop formel qui s’inspire ouvertement des Mémoires de Saint-Simon, nuit à sa dynamique et qui contribue à – il faut dire les choses – rendre la lecture un peu ennuyeuse. L’épilogue qui révèle en quelque sorte ce dispositif n’est pas non plus très convaincant. Dommage car la réflexion sur le phénomène de cour et l’arbitraire du pouvoir est bien amenée et intéressante. Cette petite déception lié à des raisons très personnelles n’enlève rien à la qualité de cet ouvrage ni au talent de Maël Renoir – ancienne plume de François Fillon – qui se confirme livre après livre. ...

En finir avec Eddy Bellegueule

Ce livre a été un pavé dans la mare lors de sa sortie en 2014. Le premier roman d’un jeune homme, qui n’avait que 21 ans à l’époque, a divisé la critique et fait couler beaucoup d’encre. Le livre a marqué par son intransigeance et son réalisme cru – très cru – vis à vis de la réalité. On a même reproché à celui qui se nomme désormais Edouard Louis d’avoir exagéré, caricaturé ou travesti la réalité en employant les mots, la langue, des personnes de son entourage – à commencer par sa famille – qu’il met en exergue en utilisant une typographie spécifique (les passages correspondant sont en italique). En racontant de façon aussi cru la vie des gens qui les entourent les auteurs se font rarement des amis, Philip Roth en a fait les frais, mais aussi lancé grâce à ce premier acte de transgression l’une des plus belles carrières de la littérature. L’écriture et la littérature sont à ce prix, il faut écrire sur ce que l’on connaît, le fameux “write what you know” et le jeune auteur l’a bien compris puisque depuis ce premier roman il continue d’exploiter cette veine autobiographique comme une catharsis. ...

Paresse pour tous

Émilien Long est un économiste récemment couronné par le prix Nobel que l’on classerait à gauche, voire à l’extrême gauche – en gros, une sorte de Thomas Piketty. Son sujet de prédilection, sa spécialité disons, est le travail et, plus particulièrement, le temps de travail. Il a minutieusement étudié son évolution au fil des décennies et a la conviction que 3 heures de travail quotidien serait le bon rythme à adopter. Ce nouveau rythme serait à la fois suffisant pour subvenir à nos besoins, mais nous permettrait surtout de profiter du temps libre restant pour réaliser des activités qui n’auraient pas comme seule utilité d’enrichir le capital. Ce qui pourrait passer pour une douce utopie fait son chemin et l’économiste se retrouve – peut-être un peu malgré lui – à porter ce projet en se présentant à l’élection présidentielle parmi des candidats que l’on reconnait à peine … ...