Cauchemar en Antarctique

J’adore ces récits d’aventure de l’époque où il restait encore des terres vierges à explorer, ils sont comme des romans, mais en mieux. Dans ce domaine, l’Antarctique (le pôle Sud) était – et est toujours un peu – le Graal, difficile d’imaginer milieu plus inhospitalier pour les humains. Pour trouver pire, il faut quitter la Terre et se rendre sur d’autres planètes – j’y reviendrai. En lisant ce livre, comment ne pas penser à d’autres récits de ce genre, le classique L’Odyssée de l’Endurance1, le livre Les Naufragés du Wager qui a connu récemment un grand succès ou encore, plus proche de nous, à L’arche des Kerguelen. ...

Il est avantageux d’avoir où aller

Ce livre est un recueil d’articles très variés qui pourraient former un tout comme le souligne la quatrième de couverture. Le tout peut se lire aussi comme une sorte d’autobiographie. C’est très vrai, cette mosaïque brosse un portrait représentatif d’Emmanuel Carrère. On y retrouve ses sujets de prédilection, la littérature, la Russie, ses livres sur Philip K. Dick, Limonov ou encore Jean-Claude Romand, l’affirmation du “Je” dans ses écrits de non-fiction qui sont devenus au fil du temps sa signature – et je vous laisse découvrir la suite. Voici par exemple ce qu’il dit au sujet de l’écriture de De sang froid dans son texte Capote, Romand et moi. ...

Espionner, mentir, détruire

Martin Untersinger est journaliste au sein de la rubrique Pixels du quotidien Le Monde qui traite des sujets technologiques et il a reçu le prix Albert Londres pour ce livre. Tout commençait donc très bien, mais j’ai été déçu par cet ouvrage qui ressemble plus à un recueil d’articles qu’à un essai structuré. Il reprend, au sein des différents chapitres, des affaires de piratage qui ont déjà été très médiatisées comme Pegasus, WannaCry, Stuxnet ou encore SolarWinds. Pour certaines, comme Stuxnet, il semblerait qu’il se contente d’écrire ce qui ressemble plus à un résumé d’un livre qu’à une enquête. J’ai même cru déceler des imprécisions, comme dans cette phrase. ...

Elon Musk

L’objectif d’Elon Musk est à la fois très simple et très ambitieux, il veut sauver l’humanité. Pour cela, il lutte contre le réchauffement climatique en proposant des voitures (et d’autres produits) électriques, il tente depuis le début de contrôler l’intelligence artificielle en créant très tôt OpenAi et plus récemment via sa société dédiée xAI, prépare ardemment l’arrivée des humains sur Mars grâce à ses fusées SpaceX et il a contribué généreusement à la perpétuation de l’espèce humaine en ayant 11 enfants – et non, le rachat de Twitter ne rentre pas vraiment dans son plan, il s’est un peu emballé, mais va l’utiliser comme un mégaphone planétaire pour diffuser ses idées. Il dirige lui-même toutes ses entreprises et les fait avancer à un rythme infernal – il est doté d’un “mode démon” qu’il active souvent – et leur applique l’algorithme en 5 étapes auquel il a donné son nom afin d’optimiser chaque produit et processus de fabrication. ...

Le fantôme de Truman Capote

La journaliste Leila Guerriero a mis le doigt sur une ellipse dans la biographie de Truman Capote qui correspond à la fin de l’écriture de son chef-d’oeuvre, De sang froid. Pendant cette période qui a duré un peu moins de deux ans, il a séjourné loin de New York, dans un petit village de la Costa Brava, Palamós. À partir du printemps et jusqu’après l’été 1962, l’écrivain américain Truman Capote est resté dans cette maison, à écrire le dernier tiers de son livre De sang-froid, qu’il définissait comme un “roman de non-fiction”, un genre dont il s’est attribué l’invention. ...

L’Amérique m'inquiète

Je connaissais le Jean-Paul Dubois romancier et j’ai découvert le chroniqueur / journaliste. Le point commun entre les deux ? Une écriture qui coule toute seule et un petit côté facétieux bien sympathique. Dans les années 90-2000 il a sillonné les États-Unis. Ses chroniques ont été publiées par Le Nouvel Observateur et rassemblées ici en une seul volume qui constitue une sorte d’intégrale regroupant L’Amérique m’inquiète et Jusque-là tout allait bien en Amérique. Ce livre est donc au journalisme ce que le recueil de nouvelles est au roman. ...

Anonymous

[…] refus de laisser l’État espionner ses citoyens, refus de laisser la grande entreprise marchandiser les communications personnelles et manipuler les désirs des gens, refus de tirer profit du travail d’autrui … des refus qui visent essentiellement à empêcher une idée formidable de s’évanouir: nous sommes anonymes et avons le droit de l’être. Gabriella Coleman est une ethnologue dont la spécialité est le cyberactivisme. Elle s’est donc intéressée – de très près – au groupe de hackers Anonymous qui est connu du grand public grâce à leur principal signe distinctif, le masque de Guy Fawkes porté par V, le héros anarchiste de V pour Vendetta1. ...

La Cité perdue de Z

Ce livre est empreint de nostalgie. Celle des explorateurs de l’époque victorienne les Livingstone, Stanley – que j’avais déjà croisés dans Congo – ou encore Shackleton qui fait une apparition dans ce livre au côté de celui qui est au centre du récit et qui sera peut-être le dernier de cette époque, le colonel (lieutenant-colonel) Fawcett. Après eux, les explorations n’auront plus la même saveur, non seulement il y aura de moins en moins de terres vierges à découvrir, mais les techniques employées ne seront plus les mêmes – aujourd’hui les satellites sont les nouveaux explorateurs. Nostalgie également de l’Amazonie victime de la déforestation et de ses premiers habitants dont la survie a été compromise dès que les premiers colons européens ont accostés sur leurs terres. Mais il s’agit juste de mon ressenti, car l’aventure est passionnante, elle raconte la quête mythique de l’Eldorado – le vrai – au coeur des forêts impénétrables. Fawcett était une sorte de surhomme qui pouvait survivre dans des milieux aussi hostiles, mais il fallait faire preuve d’une bonne dose de courage – ou de folie – pour s’aventurer ainsi à l’aveuglette, pourvu d’un équipement minimal, dans des contrées où l’homme blanc ne s’était jamais aventuré auparavant. ...

La stratégie des antilopes

Une cohorte de prisonnier quitte la prison de Rilima après sept années de captivité. Il [un communiqué présidentiel diffusé à la radio] annonçait la libération d’une première vague de quarante mille détenus, tous de grands tueurs condamnés pour génocide, dans six pénitenciers à travers le pays. Plusieurs années après les événements qu’il a raconté dans ses deux précédents livres (Une saison de machettes et Dans le nu de la vie), Jean Hatzfeld a souhaité revenir sur le territoire du génocide pour rendre compte de la réintégration des génocidaires dans la société rwandaise. Difficile d’imaginer qu’un tel évènement puisse bien se passer, mais le gouvernement semble avoir considéré qu’il n’avait pas le choix, le pays ne pouvait pas continuer à vivre avec une importante partie de sa population purgeant sa peine au sein des prisons au lieu de cultiver la terre. ...

La Fabrique du monstre

Ce livre sur la ville de Marseille s’articule en deux parties bien distinctes, mais reliées fermement dans un rapport cause / conséquence. La première est consacrée aux quartiers nord de la ville, à la misère et à la délinquance. La deuxième à la politique de la ville pendant l’ère Gaudin / Guérini qui a été catastrophique sur le plan de l’urbanisme et qui a contribué à détourner des fonds publics et / ou à blanchir de l’argent en collaboration avec le grand banditisme et les promoteurs immobiliers – je ne les mets pas dans le même sac. ...

La Défaite de l’Occident

Emmanuel Todd a une réputation sulfureuse – sa page Wikipédia est verrouillée – liée à ses positions et à des propos sans concession. Il se traine la réputation ambigüe de prophète depuis qu’il a prévu – ou prédit – la chute de l’URSS et la fin de l’hégémonie américaine. Ce n’est pas un hasard, il ne lit pas l’avenir dans une boule de cristal, mais en s’appuyant sur sa spécialité, la structure familiale, et sur des statistiques macroscopiques qui n’ont rien d’original: la démographie, l’éducation, le budget. L’épine dorsale de La défaite de l’Occident est la disparition des religions en Occident – au premier rang desquelles le protestantisme qui selon lui a eu une grande influence au Royaume-Uni et aux États-Unis (les WASP) – qu’il classe en trois stades ...

L’échiquier

Ce livre ressemble beaucoup à un précédent livre de l’auteur que j’ai beaucoup aimé, L’urgence et la patience. Cette ressemblance est manifestement assumée. J’ai l’impression, en m’immergeant dans ce livre, de retrouver mon élément naturel. L’urgence de l’écrire, la patience de la façonner, de le polir, de l’affiner, et, en temps voulu, de le reprendre depuis le début, sans cesse, à l’infini, de le retravailler, encore et encore. Il est aussi question de son métier, mais il est plus personnel, une sorte de plongée dans sa mémoire, comme on le fait au crépuscule de sa vie – je lui souhaite de vivre le plus longtemps possible. ...

Hiver 1812

J’ai déjà lu un livre consacré à la retraite de Russie de Napoléon et de sa grande armée, Il neigeait de Patrick Rambaud. Derrière se titre poétique emprunté à Victor Hugo se cache un récit à peine romancé de la grande débâcle. Dans le livre de Michel Bernard, on est plus proche du livre d’histoire, mais ma fascination pour cette épisode de l’histoire est restée intacte. Rien que d’imaginer des dizaines de milliers d’hommes venus de toute l’Europe de l’ouest marcher jusqu’à Moscou et prendre possession du Kremlin me paraît complètement fou. Suivre leur retraite désespérée poursuivis par les russes est encore plus incroyable. ...

Le Secret de Joe Gould

Joe Gould était ce que l’on appelle communément un marginal qui vivait au début du XXème siècle dans le quartier de Greenwich Village, connu pour être à cette époque le repère de tout ce que New York comptait d’artistes bohèmes. Jusqu’ici rien de vraiment étonnant, la plupart des quartiers ont leurs habitués que l’on croise régulièrement et qui peuplent les bars et les bureaux de tabac. Ce qui est plus rare en revanche, c’est que Joe Gould est issu d’une lignée de médecins et qu’il a, comme son géniteur, fait ses études à Harvard. Il dit avoir renoncé à toute activité pour se consacrer pleinement à l’oeuvre de sa vie, la rédaction d’un livre unique par son ampleur qu’il a intitulé Histoire orale de notre temps. Son ambition est de retranscrire des conversations et des réflexions qui disent selon lui plus de l’époque qu’un livre d’histoire. Lorsqu’il n’est pas occupé à boire un coup ou à récolter quelques subsides pour s’adonner à cette occupation, il consacre tout son temps à la rédaction de son livre sur des cahiers d’écolier qu’il garde jalousement dans sa sacoche en cuir qui ne le quitte jamais ou qu’il cache chez divers habitants du Village. ...

V13

Emmanuel Carrère a suivi, pendant un an, le procès des attentats du 13 novembre 2015 afin de rédiger une chronique hebdomadaire pour Le Nouvel Obs. Un job de journaliste juridique en somme, mais pas pour suivre n’importe quel procès. Dans cet exercice l’auteur n’est pas un débutant, comme le souligne son directeur de la rédaction dans la postface, puisqu’il a déjà écrit de nombreux articles dont ceux qui ont été à l’origine de son livre L’Adversaire et ceux qui sont regroupés dans le recueil Il est avantageux d’avoir où aller. ...

Richie

Richard … Vous voulez en dire du mal ou du bien ? Parce qu’il y a matière à en faire un démon ou un saint, vous savez ! Richie est le surnom affectueux que donnait les étudiants de Sciences Po à leur directeur bien aimé Richard Descoings. Jamais on a avait vu directeur d’école adulé comme une rock star et il y avait des raisons à cet amour. Homosexuel et militant de la première heure pour l’association AIDES, il était un fêtard invétéré. Un profil atypique pour un haut fonctionnaire ayant fait Sciences Po et l’ENA qui passait ses nuits dans les boîtes mythiques de la capitale: Le Queen, Les Bains Douches, Le Palace – elles ont toutes fermées leur porte – qui troquait au petit matin son pantalon en cuir et son t-shirt contre un classique costume-cravate pour rejoindre une réunion au sein d’un cabinet ministériel. Mais être anticonformiste ne suffit pas à faire de vous une idole, surtout auprès d’une population aussi exigeante, il faut obtenir des résultats. Il a réformé profondément cette école ancrée dans la plus grande tradition française pour en faire une institution au rayonnement international sur le modèles des grandes universités anglo-saxonnes comme Oxford ou Harvard. ...

La colère et l’oubli

Je ne suis pas un spécialiste de ce sujet, juste un témoin occidental de la montée du jihadisme dans nos pays européens et de ses manifestations les plus visibles et les plus cruelles, les attentats. Ce livre retrace clairement l’histoire de cette vague qui, comme le souligne Hugo Micheron, évolue en deux temps, à marée haute et à marée basse. L’ouvrage est articulé en trois phases chronologiques. Les vétérans - décennie 1990: Il revient sur les origines du mouvement à Peshawar pendant la guerre d’Afghanistan, qui a vu se rejoindre des musulmans de nombreux pays pour faire la guerre à l’envahisseur russe. À la fin de la guerre, ils sont retournés essaimer dans leur pays ainsi q’en Europe et en particulier à Londres pour former ce qui a été nommé le Londonistan. Les pionniers - décennie 2000: Les attentats du 11 septembre sont le point de départ d’un jihadisme européen, c’est-à-dire émanant d’Europe pour frapper l’Europe. Les autochtones: C’est l’époque de la guerre en Syrie qui attire sur son sol des combattants, de l’essor de Daech (État islamique) et de l’établissement, relativement éphémère, d’un califat. Tout est extrêmement bien documenté – Hugo Micheron est un enseignant-chercheur spécialiste de ce sujet – et très clair – même pour le profane que je suis. Il montre bien les mécaniques de radicalisation qui passent principalement par l’établissement de communautés dans des villes ou des quartiers, les prêches et la prison et qui ont su s’adapter aux nouveaux moyens de ommunication numériques qui ont connu une révolution pendant ces décennies. Les propos factuels et dépassionnés d’Hugo Micheron donnent au lecteur une vision claire et clinique des récents évènements qui ont bouleversé nos vies d’européens. Ce livre est un outil indispensable pour acquérir une connaissance de ce phénomène, connaissance qui est un préalable obligatoire à la compréhension de l’évolution de nos sociétés. Comme l’auteur le souligne dans sa conclusion, les différents mouvement politiques ne semblent toujours pas appréhender cette problématique de la bonne manière. ...

Exorcisme

Gérald Bronner est un sociologue reconnu, il s’est même récemment vu confier une mission par l’Élysée connue sous le nom Les Lumières à l’ère numérique – ou plus prosaïquement commission Bronner. Dans ce livre, il revient sur sa jeunesse à Nancy. Enfant de la classe populaire, il a frôlé la délinquance avant d’être détourné de ce chemin et guidé vers des mondes mystérieux par un oncle taciturne qui ne sortait jamais de son appartement rempli de livres. Cette initiation a donné lieu à la formation du C.E.R.F., le rétroacronyme – puisqu’il a un double sens – de “Chercheurs En Réalisme Fantastique” qui réunissait tout ce que la ville de Nancy comptait d’enthousiastes pour la féérie, le mystère, le caché, en somme tout ce qui n’était pas la vie plate et ennuyeuse. Le Seigneur des anneaux et Le Matin des magiciens – sous-titré Introduction au réalisme fantastique – étaient leurs livres de chevet. ...

Éloge du carburateur

Matthew B. Crawford a un parcours atypique. Il est diplômé en physique puis a obtenu un doctorat (PhD) de philosophie politique. Sans surprise, après ses études, il a dirigé un think tank avant de tout quitter pour monter un atelier de réparation de motos. Bref, j’étais passé du comité pour la pensée sociale à la cour des miracles. Ce livre relate cette expérience dont il se sert pour illustrer et nourrir sa réflexion sur le sens du travail et la dichotomie entre travail intellectuel et travail manuel. L’une des principales questions qui est posée est pourquoi on les oppose ? Pensez-vous que la réparation d’une moto ancienne ne requiert que de la dextérité ? Comment faire alors pour diagnostiquer une panne et trouver la solution ? Il s’agit bien de la combinaison des deux compétences – comme chez les dentistes ou les chirurgiens par exemple – alors pourquoi s’ingénie-t-on à, plus que les séparer, les opposer et ce dès l’école comme si ces deux compétences étaient mutuellement exclusives ? ...

MetaMaus

C’est chouette d’être reconnu. Mais assez dur d’être vu derrière un masque de souris! Le livre me menace, on dirait, comme mon père jadis. Journalistes et étudiants veulent encore des réponses aux mêmes questions. Pourquoi la BD ? Pourquoi les souris ? Pourquoi l’Holocauste ? […] Mais je vais tâcher de répondre de mon mieux. Comme ça, quand on me demandera à l’avenir, je répondrai peut-être juste plus jamais ! Voilà les questions centrales de ce livre adressées sous la forme d’une interview de Art Spiegelman menée par Hillary Chute qui est une universitaire spécialiste de l’oeuvre – le livre parle de lui-même sur ce point. Ce n’est donc pas une bande dessinée, mais un livre d’entretien très complet, précis et documenté consacré au chef-d’oeuvre de la bande dessinée Maus – un livre sur un livre donc un métalivre d’où son titre. Une fois le livre ouvert et les premières pages lues, il devient évident que ce livre est un complément indispensable à la bande dessinée car il permet de prendre encore plus conscience de la richesse de l’oeuvre. Même s’il est réalisé sous la forme d’un long entretien il s’agit vraiment d’un essai consacré à l’oeuvre tant cet ouvrage est riche, précis et éclairant – un entretien de l’auteur qui a lui-même réalisé l’entretien de son père pour écrire son livre. Il explore toutes les sphères dans lesquelles s’inscrit le livre (mémoire, histoire, bande dessinée, art, etc.) qui a demandé à son auteur pas moins de 13 années de travail. J’ai trouvé dans ce livre tellement de choses pertinentes que j’ai abusé des citations dans cet article – ils en parlent mieux que moi. ...