La journaliste Leila Guerriero a mis le doigt sur une ellipse dans la biographie de Truman Capote qui correspond à la fin de l’écriture de son chef-d’oeuvre, De sang froid. Pendant cette période qui a duré un peu moins de deux ans, il a séjourné loin de New York, dans un petit village de la Costa Brava, Palamós.
À partir du printemps et jusqu’après l’été 1962, l’écrivain américain Truman Capote est resté dans cette maison, à écrire le dernier tiers de son livre De sang-froid, qu’il définissait comme un “roman de non-fiction”, un genre dont il s’est attribué l’invention.
Pour tenter d’en savoir plus, elle se rend sur place, pour marcher sur les traces de ce personnage étrange, mener son enquête et, comme lui, écrire. Mais, après tant d’années, elles se sont en grande partie effacées et il est devenu un fantôme. Cette immersion dans l’univers de l’auteur est l’occasion d’analyser son oeuvre et surtout son processus d’écriture. Leila Guerriero insiste notamment sur la position du journaliste et celle de Truman Capote est paradoxale. Alors que l’on sait qu’il a oeuvré en coulisse et allègrement piétiné les plates-bandes de la déontologie journalistique théorisée par Janet Malcolm dans son livre Le journaliste et l’assassin, il n’en fait pas mention car il ne se met pas en scène et ne raconte rien des coulisses. Ce paradoxe est la face cachée de l’oeuvre qui va jusqu’à opposer l’empathie qu’il éprouve pour les accusés au dénouement qu’il souhaiterait pour son livre – un modèle de schizophrénie.
Mais l’artère principale où circule sa virtuosité est le fait que le livre soit écrit à la troisième personne par un narrateur qui change de point de vue avec habileté, sans dire j’ai vu, j’ai été, j’ai parlé.
Ce contraste est encore plus fort lorsqu’il est évoqué par une journaliste qui écrit en parlant autant d’elle-même que de son sujet dans un style qu’elle nomme “journalisme selfie” – même si la formule n’est pas d’elle. Son écriture qui a un côté très brut – on dirait de l’écriture au kilomètre – fonctionne très bien et nous emporte, difficile alors de s’arrêter et de ne pas dévorer ce livre.
Leila Guerriero. Le fantôme de Truman Capote. Traduit par Delphine Valentin, Rivages, 2024.