Emmanuel Todd a une réputation sulfureuse – sa page Wikipédia est verrouillée – liée à ses positions et à des propos sans concession. Il se traine la réputation ambigüe de prophète depuis qu’il a prévu – ou prédit – la chute de l’URSS et la fin de l’hégémonie américaine. Ce n’est pas un hasard, il ne lit pas l’avenir dans une boule de cristal, mais en s’appuyant sur sa spécialité, la structure familiale, et sur des statistiques macroscopiques qui n’ont rien d’original: la démographie, l’éducation, le budget. L’épine dorsale de La défaite de l’Occident est la disparition des religions en Occident – au premier rang desquelles le protestantisme qui selon lui a eu une grande influence au Royaume-Uni et aux États-Unis (les WASP) – qu’il classe en trois stades

  • Active: La religion se mesure à la participation aux cultes et à ses diverses cérémonies qui marquent les différents âges de la vie (baptême, mariage, enterrement). Elle a donc une place importante de la société car elle codifie la vie en société.
  • Zombie: C’est le concept le plus original, la religion mesurée au travers des mêmes indicateurs est en net déclin, mais son impact sur la société est toujours présent, comme par un phénomène de rémanence des règles de vie.
  • Zéro: On mesure que la religion n’est plus pratiquée et les règles qui en découlaient ont peu à peu disparu, plus rien ne structure la société qui – toujours selon l’auteur – se dirige tout droit vers le nihilisme.

Le vide religieux est la vérité ultime du néolibéralisme.

Ce concept met en lumière le rôle qu’ont joué – ou que jouent – les religions dans la cohésion des citoyens d’un État-nation. D’ailleurs, Jean-François Colosimo avance un peu la même chose dans son dernier livre, Occident Ennemi Mondial n°11, mais à l’envers, en disant que la religion est remise en avant dans ce qu’il nomme les néo-empires – la religion orthodoxe en Russie, musulmane en Turquie, etc.

En tout cas, Emmanuel Todd porte un regard bien différent de la doxa des médias et des commentateurs. Vrai ou faux, que l’on soit d’accord ou pas, que l’on trouve ses propos scandaleux ou originaux, j’ai trouvé que cette analyse stimulante nous poussait à réfléchir autrement que bien installés derrière nos fenêtres d’occidentaux. C’est vrai qu’il ne mâche pas ses mots, certains de ses propos peuvent choquer, son essai s’apparente à un pavé dans la marre – notamment sur l’Ukraine et la Russie – , s’il y a bien quelque chose que l’on pourra difficilement lui reprocher, c’est la langue de bois.


Emmanuel Todd. La Défaite de l’Occident. Gallimard, 2024.


  1. Jean-François Colosimo. Occident, ennemi mondial n°1. Albin Michel, 2024. ↩︎