Les BD autobiographiques sont légions, Riad Sattouf et Guy Delisle sont deux auteurs qui ont acquis une grande renommée en se livrant à cet exercice. Ersin Karabulut est un auteur turc méconnu – ou jusqu’à présent quasiment inconnu – en France. Son Journal inquiet d’Istanbul nous parle classiquement de sa vocation de dessinateur et plus particulièrement d’auteur de bande dessinée et de son parcours d’étudiant et de jeune professionnel. Ce cheminement se déroule dans un pays qui a connu de nombreux bouleversements, la Turquie. Ce pays, il nous le rappelle, se situe à la confluence de l’Orient et de l’Occident, géographiquement, mais aussi politiquement et historiquement.
Notre pays est une sorte de pont jeté entre l’Orient et l’Occident, les enfants.
Ce pays est tiraillé entre la laïcité qui est une valeur cardinale de l’Occident et l’influence de la religion dans la société. Cette dichotomie se traduit sur le plan politique, depuis la fin de l’Empire ottoman et la proclamation de la république par Mustafa Kemal Atatürk, par des affrontements entre ses partisans, les kemalistes, et les islamistes conservateurs. Ce conflit a pris un autre tournant avec l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan qui défend une vision impérialiste et religieuse de la Turquie.
Cette inquiétude qui qualifie son journal vient de cette instabilité et de ce conflit permanent, elle n’est pas une vue de l’esprit, mais a été nourrie par des faits puisqu’il a été confronté à la répression lorsqu’il était enfant, mais aussi lorsqu’il a commencé à travailler pour des journaux politique satirique. Ce combat pour la liberté d’expression raisonne très fort dans un pays comme la France qui est attaché à ces valeurs et a connu les attentats de Charlie Hebdo.
[…] Il nous appartient, à nous, de lutter contre ces gens [Erdogan et consort]. Voilà pourquoi nous dessinons. Pas pour épater les filles. Evidemment, si tu ne t’en sens pas capable, alors oui, laisse tomber.
La particularité de la Turquie est que cette lutte est intestine, elle déchire ses habitants. Enfin, l’auteur nous fournit des preuves de son honnêteté en nous dévoilant des épisodes moins glorieux de sa vie. Un mot sur les dessins qui sont très soignés bien que je n’apprécie pas particulièrement leur style et encore moins la mise en couleur – mais c’est une question de goût qui ne remet nullement en cause leur qualité. Ce n’est qu’un premier tome, je lirai la suite avec un vif intérêt.
Karabulut, Ersin. Journal inquiet d’Istanbul 1. Dargaud, 2022.