Comment en suis-je venu à lire ce livre ? Ma première approche du génocide s’est faite par le biais du livre de Pierre Bayard, Aurais-je été résistant ou bourreau ? Dans ce livre, il examinait plusieurs phénomènes de tueries de masse dont celles du Rwanda, mais aussi celles perpétrés par le 101e bataillon de police de réserve allemande dont le comportement m’a fait penser à celui des Hutu et je ne suis pas le seul puisque Jean Hatzfeld y fait aussi allusion. Puis c’est la lecture de Goražde consacré à la guerre de Bosnie-Herzégovine – très proche d’un génocide – qui m’a fait repenser à ce sujet. Le livre est fait d’une alternance de chapitres consacrés aux témoignages des tueurs et de chapitres dans lesquels l’auteur fait part de ses réflexions, nous livre son analyse ou encore précise des éléments de contexte. Il est le second tome de la trilogie Récits des marais rwandais consacrée au génocide débutée par Dans le nu de la vie qui donnait la parole aux victimes et clôturée par La Stratégie des antilopes.
Les surprises sont graduelles. D’abord c’est la langue Hutu qui m’a étonné car les entretiens sont restitués dans un français rwandais très agréable à lire – je parle bien de la forme et non du fond. Ensuite, la sidération s’installe à mesure que l’on découvre les évènements qui se sont déroulés en 1994 pendant un peu plus d’un mois. Comme pour le 101 bataillon de police de réserve, et même si ce livre donne de nombreux éclairages, on ne parvient pas à comprendre comment des gens ont pu massacrer leurs semblables qui vivaient avec eux depuis de longues années, ceux qui étaient au sens propre du terme leurs voisins (leurs avoisinants) – c’est le même phénomène qui a eu lieu dans la ville de Goražde entre les voisins serbes et bosniaques.
Un génocide n’est pas une mauvaise broussaille qui s’élève sur deux ou trois racines ; mais un noeud de racines qui ont moisi sous terre sans personne pour le remarquer.
Le regard des meurtriers sur ces évènements est troublant, ils semblent sonnés, comme si eux-mêmes n’arrivaient pas à comprendre ce qu’il s’est passé. Un livre formidable qui donne un éclairage précieux sur ces évènements.
Les yeux de celui qu’on tue sont immortels, s’ils vous font face au moment fatal. Ils ont une couleur noire terrible. Ils font plus de sensation que les dégoulinements de sangs et les râles des victimes, même dans un grand brouhaha de mort. Les yeux du tué, pour le tueur, sont sa calamité s’il les regarde. Ils sont le blâme de celui qu’il tue.
Hatzfeld, Jean. Une saison de machettes. Seuil, 2003.