Frédéric Pierucci au moment des faits est un cadre supérieur – ou cadre dirigeant – de la société Alstom. Lors d’un voyage d’affaires aux États-Unis il est arrêté dès son arrivée à l’aéroport. Son crime ? Avoir suivi à la lettre les procédures en vigueur dans son entreprise (compliance) pour obtenir un gros contrat1. Cette arrestation marque le début d’une affaire qui atteindra les plus hauts sommets de l’état. Le récit que Pierucci fait de son calvaire ressemble à un livre de Kafka, sauf qu’ici nous sommes dans la réalité.
La glissade toujours. Je suis dans un tunnel sans fin, aux parois lisses. Rien où m’accrocher. Dès que j’entrevois une solution, elle se dérobe.
On se demande comment un tel acharnement est possible. Et puis, tout doucement et comme le cadre supérieur déchu, on commence à comprendre. Ce livre est à la fois le récit écrit à la première personne par celui qui a vécu les évènements et une enquête de journaliste menée par son coauteur, Matthieu Aron. Le résultat est édifiant – et même très étonnant – il permet de comprendre grâce à ce cas d’école on ne peut plus clair comment agissent les États-Unis dans la guerre commerciale qu’ils mènent contre le monde entier – surtout contre l’Europe car nous faisons figure de gentils comparés à d’autres pays.
Les États-Unis se considèrent en droit de poursuivre toute entreprise qui aura conclu un contrat en US Dollars, ou même lorsque des mails – considérés comme instruments de commerce international – auront simplement été échangés, stockés (ou auront transité) via des serveurs basés aux États-Unis (comme Gmail ou Hotmail).
On y croise aussi beaucoup de personnages qui se trouvaient, et se trouvent encore pour certains, au sommet de l’état. Voici donc avec quoi Marine Le Pen a tenté – bien maladroitement et manifestement sans aucune connaissance ni préparation – de déstabiliser Emmanuel Macron lors du débat de l’entre-deux-tours – elle n’avait certainement pas lu ce livre.
Macron a renoncé à exercer le droit de véto de l’État (qui lui aurait permis de bloquer cet investissement étranger en France). Un dispositif pourtant obtenu de haute lutte par son prédécesseur [Arnaud Montebourg]. Quelques semaines plus tard, il s’opposera pourtant à la vente de la pépite française de vidéos en ligne Dailymotion […]. Le moins que l’on puisse dire c’est que nous n’avons pas la même vision des entreprises stratégiques !
Pierucci, Frédéric & Aron, Matthieu. Le piège américain. JC Lattès, 2019.
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Lors d’un appel d’offre, les grosses sociétés industrielles ont recours à des consultants ou lobbyistes qui agissent, plus ou moins légalement, auprès des décideurs pour faire pencher la balance en faveur de leur donneur d’ordre. ↩︎