J’ai attendu bien après sa sortie et donc après l’évènement qui a fait le succès des chaînes d’info en continue – je ne parle pas de la pandémie –, la première saison des gilets jaunes qui est en quelque sorte préfigurée dans ce livre. Enfin pas tout à fait, il s’agit plus exactement de l’effondrement du monde agricole incarnée par le meilleur – et le seul – ami du narrateur Aymeric, un ancien comme lui – et comme l’auteur – de l’Agro.
Bref, ce qui se passe en ce moment avec l’agriculture en France, c’est un énorme plan social, le plus gros plan social à l’oeuvre à l’heure actuelle, mais c’est un plan social secret, invisible, où les gens disparaissent individuellement, dans leur coin, sans jamais donner matière à un sujet pour BFM.
Ce livre est un nouveau volet de l’effondrement du monde selon Michel Houellebecq qui ne se départit jamais, sans une touche d’humour ou plutôt d’ironie, du nihilisme qui est devenu au fil du temps sa marque de fabrique.
[…] la période des fêtes c’est plus délicat, il aurait fallu un plateau de fruits de mer, or ce sont là des choses qui se partagent, un plateau de fruits de mer en solitaire c’est une expérience ultime, même Françoise Sagan n’aurait pas pu décrire cela, c’est vraiment trop gore.
La dépression n’est donc jamais très loin et le titre du livre, qui porte le nom de l’hormone du bonheur, y fait explicitement référence.
Dénué de désirs comme de raisons de vivre (les termes étaient-ils d’ailleurs équivalents ? C’était là un sujet difficile, sur lequel je n’avais pas d’opinion bien formée), je maintenais le désespoir à un niveau acceptable, on peut vivre en étant désespéré, et même la plupart des gens vivent comme ça, de temps en temps quand même ils se demandent s’ils peuvent se laisser aller à une bouffée d’espoir, enfin ils se posent la question, avant d’y répondre par la négative. Cependant ils persistent, et il s’agit là d’un spectacle touchant.
Alors que reste-t-il dans ce monde où même le sexe inhibé par les antidépresseurs ne constitue plus un loisir, à peine un lointain souvenir ? Peut-être bien, et au risque d’en surprendre beaucoup l’amour.
Le monde extérieur était dur, impitoyable aux faibles, il ne tenait presque jamais ses promesses, et l’amour restait la seule chose en laquelle on puisse encore, peut-être, avoir foi.
Mon impression sur ce livre a été très bonne au début de la lecture, mais un peu moins à la fin. Je dirais que c’est du bon Houellebecq – donc de l’excellente littérature –, mais pas le meilleur de Houellebecq, disons du Houellebecq sous Captorix1.
Houellebecq, Michel. Sérotonine. Flammarion, 2019.