Thomas roula le journal, le posa sur le banc. Il pris son verre pour le vider, hésita, fit tourner le vin à l’intérieur, puis reposa son verre à côté de celui d’Astrid, qui était vide. C’était moins une pensée qu’une image: le banc abandonné dans la lumière du matin, le journal avec ses pages gondolées par la rosée, et les deux verres avec quelques moucherons noyés nageant à la surface dans celui qui était resté à moitié plein.
C’est une histoire toute simple comme il y en a tant en littérature et ailleurs, comme celle assez originale que l’on doit à Sylvain Prudhomme dans Par les routes – très bon livre au passage. Celle d’un départ soudain, un abandon a priori sans préparation et sans préméditation. Même si c’est du déjà vu, cette situation est toujours sujette à de nombreux questionnements. Ils portent d’abord sur les personnages de l’histoire. Pourquoi partir, qu’est-ce qui les pousse à faire ce choix, à tout plaquer d’un coup, tout ce que l’on a mis une vie – ou presque – à construire. Est-ce un geste lâche ou paradoxalement courageux ? La question se retourne qu’est-ce qui pousse à rester ? Puis on finit par transposer ces questions que nous nous posons pour les personnages du roman à notre propre vie. Je pense que c’est là que se situe la raison fondamentale qui rend ce postulat du départ binaire, rester ou partir, si intéressant. C’est le vertige qui se trouve derrière cette décision. C’est aussi tout le reste, ce qui n’est pas dit, tout ce qui nous pousse à ne pas le faire, tout ce qui nous attache à nos vies.
J’ai trouvé tout ça dans ce court roman de Peter Stamm, rien de plus, rien de moins. L’écriture est sobre, sans être sèche. Elle se révèle pourtant efficace y compris lorsqu’il s’agit de décrire la nature et les paysages. L’écrivain suisse a l’intelligence de laisser suffisamment de place au lecteur. C’est le premier livre de Peter Stamm que je lis, mais ce n’est surement pas le dernier.
Stamm, Peter. L’Un l’autre. Traduit par Pierre Deshusses, Christian Bourgois, 2017.