Dès que j’ai vu le nom de Florence Aubenas associé à un fait divers, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ces quelques lignes à la fin d’un article de Libération signé par la journaliste qui ont éveillé la curiosité d’Emmanuel Carrère pour l’affaire Jean-Claude Romand et qui ont donné lieu à l’un des tout meilleurs livres, L’Adversaire, traitant d’un crime depuis celui que l’on cite toujours lorsque l’on évoque ce type d’ouvrage, le De sang-froid1 de Truman Capote. La comparaison s’arrête là. L’Inconnu de la poste n’est pas dans une oeuvre qui restera dans l’histoire, mais un livre qui n’a pas cette ambition et qui se contente plus modestement de relater des faits qui de par leur nature ne nécessitent pas d’adjonctions pour intéresser le lecteur.

Il s’agit d’une affaire qui s’est déroulée dans un petit village sans histoire, mais qui a eu la particularité d’impliquer quelqu’un de connu du grand public, un acteur. Cet acteur n’est pas issu du sérail et n’a pas fait le cours Florent, il vient de la DDASS, il a été repéré lors d’un de ces castings sauvages au cours desquels des réalisateurs comme Jacques Doillon se sont mis en quête de “vraies” personnes, donc d’acteurs non professionnels pour insuffler plus de réalisme à leurs films. Comment Gérald Thomassin, car il s’agit bien du jeune homme récompensé par le César du meilleur espoir masculin en 1991, s’est-il retrouvé, bien des années après, mêlé à cette affaire qui a ébranlé le petit village de Montréal-la-Cluse dans l’Ain ?

Ayant dit cela, on a tout de suite envie de l’acheter – et c’est ce que j’ai fait après avoir écouté une interview de Florence Aubenas à la radio. Le livre tient toutes ses promesses, la journaliste nous raconte cette affaire avec une neutralité et une clarté qui font honneur à la profession. Elle va même plus loin en nous livrant un portrait troublant de ce jeune acteur écorché vif – dans son cas, ce n’est pas un poncif. Malgré le succès inespéré qu’il a connu, une sorte de cadeau du ciel pour un gamin de la DDASS, on est bien obligé de constater, une fois de plus, que les cicatrices de l’enfance ne se referment jamais complètement.

Une fille le prend en stop, à qui il offre son lecteur de CD. Il porte son jean italien et possède encore un carnet de chèques. Ils sont en bois, mais quand même: il achète deux cartouches de clopes avec et monte dans un train sans savoir où il va. Dans un gare qu’il ne connaît pas, il finit par descendre. La nuit tombe. Personne ne sait où il est, ni Besnehard, ni Doillon, ni Bonaventure. “Ça y est, je suis à la rue, il pense. Comme si ça me collait à la peau d’arriver là.” Ce monde lui paraît étranger et à la fois secrètement familier. […] “Quand tu es à la rue, tu vis au fur et à mesure. Au bout d’un moment, la rue a pris toute la place, tu ne penses plus qu’à elle. C’est comme le cinéma.”


Aubenas, Florence. L’Inconnu de la poste. L’Olivier, 2021.


  1. Capote, Truman. De sang-froid. Gallimard, 1972. ↩︎