Doan Bui est journaliste à L’Obs spécialisée dans le “terro”. Elle s’est associée à la dessinatrice et auteur de BD Leslie Plée – dont j’apprécie tout particulièrement le travail depuis Éloge de la névrose en 10 syndromes – pour réaliser cet ouvrage. Le sujet principal est le procès d’Abdelkader Merah, mais par un travail de journaliste, un témoignage et une réflexion elle va plus loin en s’interrogeant plus largement sur le terrorisme et sur le rôle et la place des journalistes face à ce fléau.
J’ai souvent entendu cette critique: Nous les journalistes, donnerions trop de place à l’émotion, au détriment de la raison. Mais faut-il toujours opposer les deux ? […] Alors oui, l’émotion est à double tranchant. Pourtant, comment pratiquer un journalisme sans émotions ? Nous, les journalistes, nous devons mettre nos émotions à distance pour réussir à travailler. Mais nous ne sommes pas désincarnés. Un journaliste c’est un homme, une femme, avec sa sensibilité propre: je ne crois pas au journalisme purement objectif.
Au travers de ce procès emblématique, il s’agit de s’arrêter un moment, de se poser des questions et de prendre conscience de la place toujours plus importante qu’a pris le terrorisme dans notre vie au fil des années – et ce ne sont malheureusement pas les évènements récents qui viendront le démentir. Pour tenter d’en donner une vue d’ensemble, elle effectue son travail de journaliste en recueillant les propos des différents protagonistes, du côté des victimes comme du côté des terroristes. Mais elle va plus loin en nous livrant ses doutes et ses questions. La sincérité de ses propos saute yeux et nous accroche alors que le sujet reste difficile et compliqué à traiter. Elle semble dire les choses comme elle les ressent, de façon apparement franche et transparente, je dirais naturelle.
Le minimalisme et la simplicité des dessins – c’est une qualité de mon point de vue –, faits de lignes claires et simplement rehaussés d’une seule couleur rouge servant à souligner certains points, aident à fluidifier la narration. La présence des enfants et leur utilisation dans le dispositif narratif pour fournir des explications d’une façon différente est un procédé peut-être classique, mais qui prouve une fois de plus son efficacité. Cet aspect didactique est important lorsqu’il s’agit de s’attarder sur le rôle des avocats, et notamment de ceux de la défense, dont le terrible Éric Dupond-Moretti – qui n’a pas été épargné par Leslie Plée. A lire aussi le travail de Joann Sfar qui croqué sur le vif ses observations lors du procès des caricatures de Mahomet et les a consignées dans l’un de ses carnets intitulé Greffier1.
Bui, Doan & Plée Leslie. C’est quoi, un terroriste ? Le procès Merah et nous. Delcourt, 2019.
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Sfar, Joann. Les Carnets de Joann Sfar - Greffier. Delcourt, 2007. ↩︎