Quand j’ai emprunté cette BD à la bibliothèque, je me suis dit tiens encore une dystopie. Et puis les dessins ne m’ont pas trop attiré. Tout ceci pour dire que je n’étais pas très enthousiaste en commençant cette bande dessinée dont je n’avais jamais entendu parler et dont je ne connaissais pas son auteur, l’espagnol Abraham Martinez.
En débutant ma lecture, je ne sais donc pas trop quoi en penser, je vois bien l’idée du scénario inspiré de la dérive actuelle, mais je peine à croire qu’il soit crédible – pourquoi pas après tout, mais je reste quand même sceptique et ça m’empêche d’entrer vraiment dans l’histoire. Quant aux dessins, ils sont vraiment très marqués, très particuliers, très noirs, certains personnages sont volontairement moches. Je sais que c’est un choix délibéré, mais ce n’est pas très agréable – je sais ce n’est pas fait pour l’être – mais ça n’aide pas à apprécier la BD. Dans le genre dystopie récente en BD je trouve que Préférences Systèmes a mis un grand coup y compris sur l’aspect graphique. Puis, des références, dans les dessins et dans le texte, à Ayn Rand et à son livre Atlas Shrugged1 ravivent mon intérêt.
Mais si vous voulez parler d’idéaux, je vous dirai ceci: le marché a sa propre voix qui s’exprime avec une lumineuse clarté. Personne ne peut la museler et elle dit toujours la vérité. C’est la raison pour laquelle il peut parfois sembler cruel. Mais le fait que nous sommes tous le marché ! Que peut-il y avoir de plus démocratique ? De plus juste ? Comment le mettre en cause ?
Plus j’avance dans la lecture et plus je me dis que c’est peut-être finalement pas si mal de pousser le concept jusqu’au bout car c’est quand même l’argent qui régit la politique sans que l’on veuille vraiment se l’avouer. Les politiques dépensent une énergie folle à justifier l’injustifiable au lieu de l’assumer et d’avouer aux citoyens les vraies raisons qui guident leur choix.
Le dilemme du tramway2 repris dans ce livre illustre bien justement les choix permanents auquel sont confrontés ceux qui nous gouvernent. Comme l’illustre très bien la scène dans le livre, et notamment grâce à de très bon dialogues, le dilemme du tramway semble simple à résoudre alors que sa transposition sur un autre terrain pose un cas de conscience beaucoup moins évident. Ce problème est d’ailleurs au coeur des questions éthiques soulevées par l’avènement des intelligences artificielles et leurs interactions avec les humains.
La question est très simple. Que faut-il faire selon vous: laisser le tramway suivre son cours et tuer cinq personnes, ou le dévier de sorte qu’une seule personne soit tuée ?
La fin est très bien trouvée et ce qui paraissait exagéré au début se révèle être un procédé très intéressant pour effectuer ce type de démonstration. Pousser le curseur complètement vers la ploutocratie est une façon de mettre en lumière les dérives de notre système qui n’est pas une pure démocratie, mais une base de démocratie gérée par une technocratie elle-même pilotée par une ploutocratie.
Martinez, Abraham. Ploutocratie. Bang Editions, 2018.
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Rand, Ayn. La Grève (Atlas Shrugged). Traduit par Sophie Bastide-Foltz, Les Belles Lettres, 2017. ↩︎
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Le dilemme ou problème du tramway (trolley problem en anglais) est une expérience de pensée qui se conçoit ainsi sous une forme générale : une personne peut effectuer un geste qui bénéficiera à un groupe de personnes A, mais, ce faisant, nuira à une personne B ; dans ces circonstances, est-il moral pour la personne d’effectuer ce geste ? (Wikipédia) ↩︎