Alexandria est un livre sur le World Wide Web (WWW
). Comme le souligne l’auteur il ne faut pas le confondre avec Internet qui est le réseau qui transporte le Web. Le Web c’est au tout début un langage (HTML
) pour créer des documents multimédia (page web), des logiciels pour rendre disponibles ces documents (serveur Web) et les consulter (navigateur Web) et enfin une adresse pour les retrouver (URL
). L’une des idées majeures est le concept d’hypertexte contenant des hyperliens permettant de naviguer aisément entre les documents sans qu’ils soient organisés en une structure prédéfinie comme les livres. Ça parait évident maintenant, mais ça ne l’était pas à la fin des années 80. Quentin Jardon s’intéresse plus particulièrement à son invention qui a eu lieu au CERN et qui est l’oeuvre de deux hommes : l’anglais (Sir) Tim Berners-Lee et le compatriote de l’auteur, le belge Robert Cailliau. Si le premier est entré dans la légende, ce n’est pas le cas du second qui a été oublié et qui s’est peu à peu emmuré dans le silence en voyant son invention de plus en plus dévoyée. L’un des suspense du livre est de savoir s’il acceptera d’accorder une interview à l’auteur.
C’est donc une sorte d’enquête qui se veut être un peu à la façon d’Emmanuel Carrère – il est explicitement cité – mais qui n’y parvient pas – je suis un peu dur, il faut aussi concéder que le sujet n’est pas comparable. Mais c’est aussi un pan d’histoire qui est raconté. Avec l’expansion qu’a connu cette invention on peine à croire qu’elle est finalement si récente. Elle est certainement à l’heure actuelle l’une des inventions majeures de l’humanité puisqu’elle accélère tout. Elle est à la fois la bibliothèque et le véhicule de la connaissance, permettant à chaque instant à des millions de personnes d’accéder au savoir et de l’enrichir – et aussi de regarder des vidéos de chats et de poster un tas de commentaires débiles sur un tas de sujets qui le sont tout autant. Wikipedia est le parfait exemple de ce en quoi Robert Cailliau croyait, un univers dédié à la connaissance débarrassé de tout aspect mercantile où chacun pourrait contribuer librement de façon désintéressée – ce n’est pas dit, mais je pourrais me risquer à dire que Facebook doit en être le contre-exemple.
Quentin Jardon parvient bien à expliquer cet idéal, mais également l’aspect politique des choses. Il montre comment le CERN, et donc l’Europe, a perdu le contrôle du Web au profit du MIT et donc des États-Unis – le miroir de l’opposition entre Robert et Tim. Ce phénomène, cet handicap politique vis à vis de la technologie est certainement l’une des explications au retard qu’accuse l’Europe dans ce domaine. Au moment où le vieux continent voudrait réagir pour ne pas rater – alors qu’il est déjà dans le fossé – le virage de l’intelligence artificielle (IA), cette perspective historique est riche d’enseignements.
Il réussi par contre moins bien sur le plan technique où le livre reste très superficiel. N’étant pas du domaine, il passe à côté de certains points comme lorsqu’il explique comment Netscape a perdu la guerre des navigateurs il ne dit pas que les développeurs avaient entrepris une réécriture complète du logiciel. Pendant qu’ils étaient occupés à réécrire ce qui fonctionnait déjà, ils n’ont pas développé de nouvelles fonctionnalités et se sont fait distancer par la concurrence. Joel Spolsky a écrit un article à ce sujet. Enfin, le livre se termine sur une ouverture très pessimiste puisqu’il évoque l’effondrement de la civilisation industrielle désigné par le néologisme collapsologie.
Le terme collapsologie est un néologisme apparu au début du XXie siècle pour désigner l’étude de l’effondrement de la civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder.
Bref une lecture en demi-teinte, je suis définitivement intéressé par le sujet et j’ai été sensible à plusieurs aspects soulignés par l’auteur, mais je suis resté sur ma faim dans le registre technique et historique. Enfin les lecteurs intéressés par les début d’Internet (le réseau) pourront lire le très bon Where Wizards Stay Up Late1.
Quentin Jardon, Alexandria: Les pionniers oubliés du web, Gallimard, 2019, 256 p, Amazon.