Il y a toujours un peu de méfiance lorsqu’un ouvrage publié en 1992 n’est traduit que plus de 25 ans après. Cette méfiance est encore plus légitime lorsqu’il s’agit d’un des auteurs les plus bankable d’une maison d’édition, auteur de nombreux best sellers: Jonathan Franzen. Deuxième alerte, j’avais entendu des critiques pas très positives qui pointaient l’une des erreurs les plus répandues chez les jeunes auteurs – Franzen était un jeune auteur à l’époque même si on peine à l’imaginer – le fait de mettre trop de choses dans ses romans, autrement dit d’en faire trop ou de vouloir trop en faire.

Il existe une odeur spécifique, une odeur ancienne, humide et mélancolique, qui se dégage de Boston après le coucher du soleil, lorsque la température est fraîche et qu’il n’y a pas de vent. La convection la ramasse sur les eaux écologiquement perturbées de la Mystic et de la Charles, ainsi que des lacs. Les filatures à l’abandon et les aciéries en sommeil de Waltham la diffusent. C’est le souffle expiré par ses vieux tunnels, l’esprit qui s’élève des amoncellement de verre terni par la pollution et du ballast de vielles voies ferrées, de tous ces lieux silencieux où la fonte rouille, où le béton pourri s’effrite comme un Roquefort inorganique, et où les distillats pétroliers retournent à la terre. Dans une ville où il n’y a pas une seule parcelle de terre qui n’ait été transformée, c’est devenu une odeur primordiale, l’odeur de la nature qui a remplacé la nature.

Mais rien n’y a fait, je dois vraiment être un fan de Franzen – en relisant mon article dithyrambique consacré à Freedom ça paraît assez évident. Je dois avouer que je me frotte les mains à la perspective de lire son roman phare Les corrections et que j’ai récemment acheté le pourtant très moyennement apprécié Purity. Même si je suis un peu d’accord sur le possible superflu de traiter de deux gros sujets de société dans un roman, ce vaste champ donne à l’auteur l’occasion de jongler entre les deux – même si je conçois qu’il est légitime de penser que tout ceci est un peu rentré au chausse-pied. Les personnages sont certes assez originaux volontairement, mais ils n’en restent pas moins pour moi loin des personnages stéréotypés que l’on peut trouver dans des romans plus bas de gamme.

Toute la tristesse des années 1970 était rassemblée dans le tiroir de Jurene, toutes ces années durant lesquelles Renée n’avait pas été heureuse et n’avait pas eu ce qu’elle voulait, affligée qu’elle était de boutons et d’amis dont elle avait honte, ces années dont les cols pelle à tarte, les semelles compensées, les pattes d’eph et les cheveux démesurément longs (les malades mentaux ne négligent-ils pas de se faire couper les cheveux ?) lui semblait aujourd’hui la panoplie à la fois symbolique et littérale du malheur.

L’alternance des différentes focales entre le destin des personnages et les préoccupations écologiques – comme je le disais il est aussi question d’un autre sujet de société que je ne révèle pas pour ne pas divulgâcher – offre une variété très agréable et à vrai dire indispensable pour tenir sur une telle longueur (~700 pages). Je ne dois certainement pas être objectif, m’ai j’ai beaucoup apprécié cette lecture qui n’est pas été affectée par les petits défauts cités au début de l’article. Pour être honnête, j’ai peut-être un tout petit peu ralenti sur les cents dernières pages, mais pas de quoi à en faire toute une histoire.


Jonathan Franzen, Phénomènes naturels, traduit par Olivier Deparis, L’Olivier, 2018, 688 p, Amazon.