Depuis La théorie de l’information je suis admiratif du travail d’Aurélien Bellanger. J’avais été séduit par sa façon de rendre la technique passionnante et à tout dire romanesque. Il faut dire qu’il est doué, méticuleux, précis – j’avais, à l’époque de son premier livre, pu constater dans un domaine que je connais bien qu’il ne commettait pas d’erreurs techniques –, bref il fait très bien son boulot et avec cette approche sort du lot des jeunes écrivains français. Il parvient à rendre passionnant ce qui pourrait paraître ennuyeux, froid, plat et dénué d’intérêt. Il faut dire qu’il a bon goût et peut-être aussi une bonne source d’inspiration puisqu’il a consacré son premier live à Michel Houellebecq.
Cette fois il s’est donné une contrainte particulière en s’attaquant à un sujet qui n’est pas aussi vendeur que la personnalité du sulfureux Xavier Niel, mais qui est certainement plus ambitieux. Raconter la décentralisation par le biais de ce qui fut – on peut désormais parler au passé – le fleuron de l’industrie française, le TGV. Cette prouesse technologique, véritable saut technologique inédit depuis le train à vapeur, devait rapprocher les villes, les désenclaver et surtout rendre Paris moins incontournable, stopper net son hégémonie. Cette grande aventure technologique et – surtout – politique fournit une matière brute en quantité qui ne demande qu’à être travaillée par un auteur talentueux – Michel Houellebecq a bien écrit La carte et le territoire.
Et il réussit plutôt bien dans cet exercice, maitrisant parfaitement les grandes tirades techniques avec précision et justesse, rapprochant avec perspicacité les évènements et les idées, la technologie et la politique.
On pouvait noter une situation d’une absurdité similaire [il fait référence ici à la concurrence entre les transports collectifs et la voiture individuelle] avec l’eau: alors qu’elle était disponible, depuis plus d’un siècle au robinet, presque gratuite et de bonne qualité, les Français s’étaient mis soudain, en reproduisant les pénibles gestes de leurs ancêtres, à s’approvisionner en eau potable dans les supermarchés, où ils achetaient des packs de six bouteilles lourds, encombrants et onéreux [il aurait pu ajouter constituant une véritable catastrophe au plan écologique, un non sens total].
Les choses ont commencé à se gâter lorsqu’il a cherché – y-a-t-il été poussé par son éditeur – à introduire du romanesque, entendez des personnages et une une fiction dans ce récit. Pour cela quel meilleur candidat que le sujet qui fait chaque année la une des magasines comme L’Express, les sociétés secrètes et l’histoire de celles-ci est particulièrement alambiquée. Ce roman qui aurait pu être totalement aseptisé, débarrassé de ces personnages, se retrouve flanqué de familles rivales stéréotypées parmi lesquelles on parvient à se perdre malgré le faible nombre de protagonistes – on constate qu’il est bien moins à l’aise dans ce registre.
Dommage, dommage qu’il n’ait pas poussé le concept du roman technique jusqu’au bout. Je pense qu’il y serait parvenu sans problème puisque les travers de ce livre se cristallisent surtout à la fin, le début étant réellement enthousiasmant. Aurélien Bellanger est à mon sens un auteur bourré de talent que je continuerai à lire avec la même envie – je vais d’ailleurs me procurer sans tarder Le Grand Paris1. Il doit jouer sur ses points forts et totalement assumer sa différence pour briller et atteindre le niveau d’un très grand auteur – il en est parfaitement capable.
Aurélien Bellanger, L’aménagement du territoire, Gallimard, 2014, 480 p, Amazon.