La première chose que j’ai remarqué dans ce Traquet Kurde est la très belle reproduction de l’oiseau en question juste derrière la page de titre. Car il s’agit bien d’un oiseau et non comme je l’avais cru en entendant le titre (sur une base phonétique) d’un réfugié kurde traqué par je ne sais qui. La seconde est la qualité du papier – je suis presque sûr que le grain du papier est plus fin que celui des autres livres P.O.L que j’ai lu. J’ai aussi pensé que ce livre, paru en 2018, était certainement l’un des derniers publiés par Paul Otchakovsky-Laurens, un éditeur qui lisait lui-même chaque livre publié par sa maison. Un éditeur comme l’on en fait plus. Un éditeur de la trempe de Jérôme Lindon – j’associe souvent Minuit et P.O.L, je trouve leur ligne éditoriale comparable – à qui Jean Echenoz avait rendu un si bel hommage dans son livre éponyme – ça pourrait donner des idées à un auteur de la maison, Emmanuel Carrère, Martin Winckler ou Jean Rolin par exemple.
Ensuite, c’est du Jean Rolin, on se rend vite compte de sa connaissance avancée de l’ornithologie – je sais pour l’avoir entendu dans une interview qu’il a fait valider son contenu par deux spécialistes reconnus qui n’ont trouvé aucune erreur – et de son indéniable talent de conteur. Il a du style de l’humour, de l’ironie et une façon d’entremêler les choses assez particulière. On dirait tout simplement qu’il nous raconte une histoire comme elle lui vient, sans réfléchir. On alterne entre le passé et le présent, des considérations sur des oiseaux à de la géopolitique en passant par un gros détour donnant l’occasion d’évoquer avec précision un fait historique. Si on devait se risquer à la difficile – et passablement inutile – tâche de classification de ce livre je le rapprocherais du récit de voyage – bien qu’il soit assez inclassable car il ne se limite pas à ça.
Il est parti d’une simple anecdote, ce qui ne serait qu’un infime détail pour la plupart des gens.
Au printemps 2015, un ornithologue amateur observe au sommet du puy de Dôme un petit oiseau, le traquet kurde, jamais vu en France auparavant, et dont nul ne sait comment il est arrivé jusque-là.
Mais c’en est assez pour l’auteur prolifique pour nous embarquer dans son voyage au Moyen-Orient et d’évoquer d’autres explorateurs T. E. Lawrence (Lawrence d’Arabie), St. John Philby (le père du célèbre espion), mais surtout le colonel Meinertzhagen qui a commis l’invraisemblable – je ne vais pas dire l’irréparable – pour assouvir sa passion de l’ornithologie. Une lecture qui ne plaira qu’aux amateurs de livres originaux, aux fans de l’auteur et / ou des oiseaux. Peu d’auteurs écrivent comme Jean Rolin, alors ne boudons pas notre plaisir. Un peu d’érudition, de bon goût et de belle littérature c’est toujours bon à prendre.
Jean Rolin, Le Traquet kurde, P.O.L, 2018, 176 p, Amazon.