Cette bande dessinée est l’adaptation du livre Mémoires d’immigrés1 de Yamina Benguigui. J’avoue que j’étais depuis longtemps intrigué par cette couverture et ce titre lorsque je l’apercevais sur les rayonnages de la bibliothèque municipale. Le design des personnages n’est pas étranger à cette impression, il m’a rappelé Maus2, mais je ne sais pas si c’est intentionnel ou si ce procédé n’est là que pour rappeler que la parole a été donné à des sans voix par Yamina Benguigui et à des sans visages, par Jérôme Ruillier – en même temps à bien y réfléchir, ça n’aurait pas été simple de mettre des visages, forcément inventés, sur ces récits – à moins que des photos existent, j’avoue que je ne sais pas.
Ces personnes sont issues de la première vague d’immigration en provenance du Maghreb, celle des ouvriers recrutés par la France pour mener à bien la reconstruction du pays. De la main d’oeuvre bon marché à qui l’on pouvait confier les travaux les plus rudimentaires et à la fois les plus pénibles. Pour cette promesse d’une vie meilleure, ils ont quitté brusquement leur pays, laissé derrière eux leur famille. Logés dans de mauvaises conditions, entassés, parqués, ils tenaient avant tout à envoyer de l’argent à leur famille avant qu’elle puisse les rejoindre. Le sentiment général qui se dégage est un tiraillement entre une France aux promesses alléchantes, mais qui ne les tient pas toutes, et un profond attachement à leurs racines traditionnelles et religieuses.
En lisant cela, on comprend mieux le terreau dans lequel on poussé nos banlieues. La souffrance des parents a engendré le ressentiment et la colère des enfants, on récolte toujours ce que l’on sème. Les témoignages sont éclairants, le dessinateur intervient entre les différents récits pour faire part de ses propres doutes et interrogations face à cette immigration. Ce point de vue donne de la perspective aux récits et les repositionne, les recontextualise dans notre époque, notre monde contemporain. Ces témoignages offrent un point de vue éclairant sur cette situation qui n’a jamais cessé d’être préoccupante.
Jérôme Ruillier et Yamina Benguigui, Les Mohamed, Sarbacane, 2011, 285 p, Amazon.