En vérité, il ne s’agit ni de se comparer ni de s’identifier, mais trente-cinq ans après sa mort, de revenir, comme je le fais souvent dans ma tête, sur notre amitié, d’en parcourir les étapes, de fouiller dans ma mémoire, de retrouver ce que je lui dois, de lui rendre grâce pour ce qu’il m’a donné, pour les progrès qu’il m’a fait faire.
Le “je” est Antoine Compagnon dont les titres et les fonctions sont difficiles à résumer, mais qui, pour faire simple est l’un des plus grands spécialistes de la littérature en France. Le “il” qui a aussi occupé une chaire au Collège de France, celui que l’on ne présente plus, – sauf à Nicolas Sarkozy qui prononce son nom comme celui du gardien de but de l’équipe de France de 1998 – Roland Barthes.
Antoine Compagnon est parti à la recherche du temps perdu en exhumant sa correspondance d’une boîte à chaussure reléguée au fond d’une armoire. C’est l’occasion pour lui de se replonger dans ses souvenirs, de revivre ses débuts puisque les deux hommes ont trente ans d’écart. Il a opté pour la simplicité en choisissant un ordre chronologique allant de la rencontre à la mort du théoricien de la littérature. Son récit est sincère, il ne cache pas ses doutes et ses erreurs, il donne son opinion. Il nous donne aussi l’occasion de plonger dans le milieu littéraire si foisonnant de l’époque, de suivre les débuts de ce surdoué de la littérature qu’est Antoine Compagnon. En effet, ce portrait en creux est tout aussi intéressant que celui qu’il fait de son ainé. Il ne s’attache pas à nous livrer une biographie, mais des fragments, des rencontres, des échanges, du travail, du temps passé ensemble aux travers desquels on distingue le portrait de cet homme.
Malgré toute l’admiration que j’ai pour l’érudition d’Antoine Compagnon, je dois avouer qu’il n’a pas le talent de conteur d’un Emmanuel Carrère, il peine à nous embarquer dans son sillage, à mêler le passé et le présent, le documentaire et la vie privée pour rendre son histoire plus vivante. J’avais ressenti exactement la même chose à la lecture d’un autre de ses livres évoquant des souvenirs plus anciens, La classe de rhéto1. C’est un petit bémol qui n’enlève rien à l’intérêt et à la qualité de ce récit. Je conseille à ceux qui voudraient en savoir plus sur Roland Barthes de ne pas demander à N. Sarkozy, mais de lire la biographie2 que lui a consacré Tiphaine Samoyault et à ceux qui voudraient en savoir plus sur le jeune homme qui fut son élève – et prendre conscience de l’étendu de son savoir – d’écouter ses cours au Collège de France (ils sont disponibles en podcast).
Antoine Compagnon, L’Âge des lettres, Gallimard, 2015, 176 p, Amazon.