Depuis que j’entends parler de ce livre, que j’hésite à l’acheter, j’ai enfin eu l’occasion de l’emprunter à la bibliothèque. Il correspond à l’image que je m’en étais faite. C’est un livre intelligent, cultivé et même un brin élitiste pour tout dire.
Ce roman graphique – puisqu’il faut l’appeler ainsi – est techniquement très maitrisé, que ce soit sur le plan graphique, sur le plan narratif et sur le fond. Le style graphique épuré n’a pas empêché David Mazzucchelli de truffer ses dessins de détails qui ne sont jamais là par hasard. Le profil d’Asterios par exemple est symétrique. L’avant et l’arrière de sa tête peuvent être confondus lorsqu’il est dans la pénombre ou à contre-jour. On dirait le Janus de la mythologie romaine présentant deux visages de part et d’autre de sa tête. Voici un des moyens d’illustrer la dualité qui est l’un des fils rouge du livre – cette opposition, ce yin et yang est présente partout – et qui trouve sa source chez le jumeau du héros qui le hante. On peut aussi penser à une matérialisation de la vie du personnage et de la narration. Une partie du visage regardant vers son avenir et une partie vers son passé. La narration suit une forme classique, mais toujours aussi efficace. Des flashbacks permettent au lecteur de comprendre comment Asterios en est arrivé là alors que l’histoire continue d’avancer dans le présent.
Avant d’aborder des points relevant l’originalité de ce livre, il convient de parler de deux choses. Premièrement l’ambiance, l’impression que l’on a à la lecture est celle – au moins pour moi – d’une profonde mélancolie voire d’un désenchantement. Là aussi le contrepoint (la dualité) entre les deux milieux sociaux dans lequel évolue Asterios y est pour beaucoup. Deuxièmement l’érudition, la culture de l’auteur est présente partout. Elle l’est dans les dessins parfois subtilement – au travers d’un objet par exemple –, mais aussi de manière plus ostentatoire lorsqu’il cite de la littérature ou fait référence au mythe d’Orphée.
Fait rare en bande dessinée, le lettrage est particulièrement travaillé. Il est différent en fonction des personnages, les bulles changent aussi de forme: rondes pour Hana, rectilignes – évidemment – pour Asterios. Parfois elles s’entremêlent, lorsqu’une complicité éclos dans la conversation. C’est une très bonne idée d’exploiter cet élément si caractéristique de la bande dessinée pour exprimer quelque chose en plus du visuel, ce que l’on trouve parfois dans la voix de quelqu’un. Ce n’est pas la seule innovation de ce livre. L’énumération est un procédé connu en littérature. Je n’ai pas souvenir d’en avoir vu un tel exemple en BD. La séquence qui illustre le quotidien de la vie de couple en enchainant les petites vignettes est bluffante et atteint son objectif. Le livre est bourré de ce type de trouvailles et mériterait d’être analysé en profondeur.
Roman graphique érudit rempli de bonnes idées qui fait faire un pas en avant au 9ème art et comblera les amateurs du genre.
David Mazzucchelli, Asterios Polyp, traduit par Fanny Soubiran, Casterman, 2010, 260 p, Amazon.