Un jour il a claqué la porte. Terminé le piano, le jazz et les clubs. Et tout ce qui va avec: la nuit, l’alcool et les femmes. Depuis, il s’est reconstruit une petite vie tranquille. Un travail sérieux – et ennuyeux –, une femme aimante et attentionnée – bien loin des tumultes de la passion en somme. Bref, tous les ingrédients qui l’avaient transformé en un monsieur tout le monde heureux – au moins en apparence. Puis un soir, l’occasion s’est présentée, le hasard, la tentation. C’est comme pour les fumeurs repentis, il suffit d’en retoucher une seule, rien qu’une petite et c’est reparti. Il replonge donc ou il revit, c’est une question de point de vue.

Tout au long de la lecture j’ai été préoccupé par la question de la narration – ce n’est pourtant pas mon habitude, il m’arrive de lire un livre entier sans y prêter attention ou même me poser la question. Pourtant, dans ce livre, quelque chose m’a interpellé. Le narrateur est un peintre ami du couple Nardis (c’est le nom de famille du personnage principal Simon et de sa femme Suzanne), il est donc un personnage de l’histoire. Même s’il le fait de manière indirecte (souvent par téléphone) le narrateur participe à l’histoire (narrateur homodiégétique). D’un autre côté, il est censé raconter une histoire qui lui a été racontée car il n’a pas été le témoin direct des faits. Il semble donc être tellement loin de l’action qu’il pourrait être considéré comme un narrateur extérieur à l’histoire (hétérodiégétique). L’ambiguïté ne s’arrête pas là. La perspective (qui perçoit les événements et non qui les raconte) est elle aussi troublante. Si le narrateur est un personnage de l’histoire il doit normalement décrire ce qu’il perçoit. C’est ce qu’il fait souvent en livrant sa version, ses impressions et parfois ses doutes. Mais d’autres fois il se confond avec le personnage principal à tel point qu’il semble avoir vécu lui-même les évènements qu’il relate tant il révèle des détails relevant de la sphère privée. Ce choix original apporte de la richesse à la narration, le lecteur ne sait pas si la version racontée est fiable, il ne peut pas faire la part des choses entre ce qui relève des faits et ce qui relève de l’interprétation ou de l’imagination du narrateur.

Enfin le style est très épuré – c’est l’élément qui est de loin le plus frappant. Christian Gailly fait partie de ses auteurs que l’on associe souvent au courant dit minimaliste ou impassible qui a vue le jour au sein des éditions de Minuit dans le sillage de Jean Echenoz et de Jean-Philippe Toussaint. Dans ce roman, les phrases sont souvent extrêmement courtes et même dépourvues de verbes. Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, cette concision grammaticale n’enlève rien au plaisir de la lecture. L’effet est même inverse, le texte est clair, limpide sans pour autant que ce procédé réduise les possibilités offertes à l’auteur.

En conclusion, c’est un livre intéressant à bien des égards qui se lit d’une traite. Il a reçu le prix du livre Inter en 2002. Faut-il citer plusieurs fois France Inter dans son livre pour l’obtenir ?

P.-S.: J’ai écrit cet article il y a assez longtemps, mais je fais confiance à mon ancien moi pour ne pas avoir raconté trop de conneries notamment sur la narration.


Christian Gailly, Un soir au club, Minuit, 2004, 173 p, Amazon.