Après un Nobel et le visionnage d’un reportage de Bernard Pivot lui étant consacré, j’ai voulu lire du Modiano – j’ai seulement deux livres à mon actif. On était dimanche – non je ne voulais pas acheter de livre sur mon Kindle –, j’ai donc commandé le “Quarto” 1 qui compile “l’épine dorsale de ses autres romans” et je suis parti au marché de Saint-Aubin bien décidé à dénicher chez les nombreux bouquinistes un volume, à la belle couverture crème et aux liserés rouges, siglé “NRF”. Après avoir passé au crible quelques étals, j’en tiens un. Une belle prise – qui ne figure pas dans le “Quarto” – une édition de 1982 en très bon état pour 6 €: De si braves garçons – il coutait 55 Francs à l’époque.
Le hasard est bon conseiller puisque je prends beaucoup de plaisir à lire les premières pages. Le livre est court, je savoure lentement les phrases et me laisse doucement imprégner par son ambiance si particulière. Je ne suis pas en terrain inconnu puisque le collège Valvert dans lequel se déroule l’histoire ressemble à s’y méprendre à celui – le collège de Montcel, je crois – visité, pour la première fois depuis son enfance, par Patrick Modiano dans le reportage. Il accueille des enfants délaissés par leurs parents. Modiano nous raconte leur histoire, ceux qu’ils sont devenus. Il ne rédige pas des biographies standardisées, mais rapporte des bribes, reconstitue les faits à partir de ce qu’il est parvenu à glaner, des souvenirs qui ont imprégné sa mémoire. Ces portraits sont un peu flous, évanescents et ils n’en sont que plus beau. J’ai trouvé magnifique celui de Yotlande un noceur qui, les invités ayant tous quitté la scène pour fonder une famille ou travailler n’a pas compris que la fête était finie. Je ne peux que citer ce passage dans lequel il observe – sans en prendre conscience – un reflet de lui-même (Mickey, dit Mickey du Pam-Pam) assis à la table voisine du “Scossa”.
A la dérobée, Yotlande observait ce vieux jeune homme de soixante ans, seul à sa table, la tête inclinée sous le poids de sa chevelure teinte. A quoi rêvait ce soir Mickey du Pam-Pam ? Et pourquoi certaines personnes restent-elles, jusque dans leur vieillesse, prisonnières d’une époque, d’une seule année de leur vie, et deviennent peu à peu la caricature décrépite de ce qu’elle furent à leur zénith ?
Les chapitres se concluent toujours par de très belles phrases, c’est le cas de celui-ci.
Il la regardait boire sa grenadine. Il avait eu trente huit ans au mois de juin, mais il ne pouvait encore tout à fait se résoudre à ce que le monde ne fût pas une éternelle surprise-party.
Le portrait du narrateur principal n’est pas détaillé, il se dessine en creux. Et, au fil du temps, on va finir par découvrir son prénom, je vous laisse le deviner …
Patrick Modiano, De si braves garçons, Gallimard, 1982, 185 p, Amazon.