J’ai acheté, en rentrant de vacances, Intérieur de Thomas Clerc – impossible de trouver ce livre dans une librairie grand public. Il faut dire que ce n’est pas un livre qui plaira à tout le monde. Pourtant, je ne suis pas fan de la littérature expérimentale, mais plusieurs choses me séduisent ici. La première est l’idée d’isolement, de sécurité que l’on peut retrouver en rentrant chez soi. Elle est assez basique, mais crée une ambiance agréable et apaisante.
Dès que je rentre chez moi, je ferme la porte à double tour d'1 geste réflexe […]. Non c’est plutôt le désir d’être hermétiquement séparé du dehors qui m’invite à ce tour de poignet par lequel je l’enclos. 1 retraite au coeur de la ville, 1 calme tiède ou frais témoignent contre la rue. Par ce geste fondateur, je suspends le flux, j’entre sur mes terres. Le bruit métallique de la clef qui tourne 2 fois dans la serrure préfigure le passage dans l’autre monde.
Le seul bémol à signaler est que mon oeil achoppe désagréablement sur les chiffres remplaçant l’écriture en toutes lettres, vous les aurez certainement remarqués en lisant la citation précédente. À mon sens, cette coquetterie n’apporte rien, elle est comme un grain de beauté mal placé sur lequel l’oeil vient buter en permanence. Rassurez-vous, on s’y fait à la longue et on finit par ne plus y prêter attention.
La deuxième tient au sujet qui pourrait paraître banal et complètement plat pour certains alors qu’il ne l’est pas, tout au contraire. Décrire un intérieur avec minutie est l’occasion de dire beaucoup de choses sur beaucoup de sujets à commencer par son propriétaire et seul habitant. Qu’est-ce qui raconte mieux une vie que la description de son intérieur ? L’organisation du logement en dit long sur les habitudes, les manies, les marottes, mais aussi l’histoire puisque tout a une temporalité et s’est déroulé à une époque dans un certain contexte. Ce portrait en creux révèle beaucoup sur la psychologie, décris-moi ton intérieur et je te dirai qui tu es. Tout cela est évidement servi par une très belle écriture d’une rare intelligence – condition sine qua non pour qu’un tel livre tienne sur la distance.
Apanage initial des logements ouvriers, la « cuisine américaine » s’est dotée d'1 connotation positive et moderne, voire luxueuse, qu’on a transposé dans des appartements où le même concept ne servait qu’à masquer la réalité de l’étroitesse.
Je pense à Georges Perec et son livre La vie mode d’emploi1. Ce n’est peut-être pas un hasard puisque Thomas Clerc a signé un Profil2 consacré à W, ou, Le souvenir d’enfance3, un autre livre de l’oulipien. Il semblerait tout de même que le cahier des charges d’Intérieur soit moins drastique. Ses énumérations font aussi penser à cet autre livre de Perec, Les Choses4. Thomas Clerc cite lui-même un autre livre : Voyage autour de ma chambre5 de Xavier De Maistre.
De manière bien plus terre à terre, il nous donne envie de chiner, de débusquer des objets anciens, pas trop quand même, les années 70 me paraissent idéales. Bref, je ne regrette pas mon achat et je prends pleinement conscience de l’impact qu’aura cet objet livre chez moi, sur une étagère. En le voyant, je repenserai à tout cela.
Thomas Clerc, Intérieur, Gallimard, coll. « L’arbalète », 2013, 400 p, Amazon.