De ma lecture de La promesse de l’aube cet été, j’ai retenu quelques citations et une impression mitigée qui m’a rendu la tâche d’écrire sur ce livre très difficile. J’ai trouvé qu’il oscillait en permanence — et ce dès le début et jusqu’à la fin – entre l’émotion et le burlesque d’une façon assez déstabilisante. Romain Gary est un mystificateur génial, il l’a prouvé de façon magistrale avec son double Goncourt – performance inégalée et inégalable. Cette facette est très bien illustrée dans ce livre dans lequel il fait passer le lecteur du rire aux larmes jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il s’est fait avoir. Oui car ce livre est un roman, mais le roman de sa vie.
Pourtant il a bien fait son ouvrage puisque j’y repense des mois plus tard et ne peux me résoudre à ne pas parler de ce magnifique témoignage d’amour pour sa mère. Même s’il se cache parfois – peut-être par pudeur – derrière des écrans de fumée on ne peut avoir de doute sur le fait qu’elle a été son grand amour et sa force, celle qui l’a poussé à réussir tout ce qu’il a entrepris. Mais cet amour exclusif l’a certainement aussi beaucoup fragilisé. Pour tout cela, ce livre est important et il est important de le lire.
Voici donc quelques très beaux extraits concernant principalement sa mère et les motivations qui l’ont poussé à devenir celui qu’il est devenu à réussir au delà de tout ce dont elle aurait pu rêver.
Dans cette première citation le « à temps » est d’une importance capitale puisque tout ceci fut pour lui une longue course contre la montre.
Je pourrais enfin partir à la conquête du monde et revenir à temps, couvert de gloire, afin que sa vie s’éclaire enfin de sens et pour que justice soit rendue.
Celle-ci contient le titre du livre et l’une de ses significations.
Je n’entendais plus les rires, je ne voyais plus les regards moqueurs, j’entourais ses épaules de mon bras et je pensais à toutes les batailles que j’allais livrer pour elle, à la promesse que je m’étais faite, à l’aube de ma vie, de lui rendre justice, de donner un sens à son sacrifice et de revenir un jour à la maison, après avoir disputé victorieusement la possession du monde à ceux dont j’avais si bien appris à connaître, dès mes premiers pas, la puissance et la cruauté.
Et l’improbable, l’impensable se produisit.
Elle ne m’écoutait pas. Son regard se perdit dans l’espace et un sourire heureux vint à ses lèvres, naïf et confiant à la fois, comme si ses yeux, perçant les brumes de l’avenir, avaient soudain vu son fils, à l’âge d’homme, monter lentement les marches du Panthéon, en grande tenue, couvert de gloire, de succès et d’honneurs.
J’aime particulièrement celle-ci pour sa beauté et sa pirouette de la fin qui illustre parfaitement ce que je disais, l’émotion est contrebalancée par une plaisanterie.
Quelque chose de son courage était passé en moi et y est resté pour toujours. Aujourd’hui encore sa volonté et son courage continuent à m’habiter et me rendent la vie bien difficile, me défendant de désespérer.
Voici encore le titre du livre qui s’est glissé dans cet extrait qui lui donne une nouvelle signification. Il est très emblématique du livre puisqu’il explique à la fois une chose primordiale dans la vie de Romain Gary tout en la dédramatisant par une touche d’humour.
Il n’est pas bon d’être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c’est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours.
Voila, tout est dit.
Je ne me sens pas coupable. Mais si tous mes livres sont pleins d’appels à la dignité, à la justice, si l’on y parle tellement et si haut de l’honneur d’être un homme, c’est peut-être parce que j’ai vécu, jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, du travail d’une vieille femme malade et surmenée. Je lui en veux beaucoup.
Pour conclure, ces quelques phrases magnifiques et très émouvantes.
[…] quant à moi, élevé dans ce musée imaginaire de toutes les noblesses et de toutes les vertus, mais n’ayant pas le don extraordinaire de ma mère de ne voir partout que les couleurs de son propre cœur, je passai d’abord mon temps à regarder autour de moi avec stupeur et à me frotter les yeux, et ensuite, l’âge d’homme venu, à livrer à la réalité un combat homérique et désespéré, pour redresser le monde et le faire coïncider avec le rêve naïf qui habitait celle que j’aimais si tendrement.
Enfin, pour détendre l’atmosphère voici un paragraphe que l’on pourrait croire tiré du Petit Nicolas – enfin un petit Nicolas un peu précoce quand même.
Mariette était une fille au bas-ventre bien ancré dans un bassin généreux, aux grands yeux malins, aux jambes fermes et solides, et dotée d’un derrière sensationnel que je voyais constamment en classe au lieu et à la place de la figure de mon professeur de mathématiques. Cette vision fascinante était la très simple raison pour laquelle je fixais la physionomie de mon maître avec une si complète concentration. La bouche ouverte, je ne la quittais pas des yeux pendant toute la durée de son cours, n’écoutant bien entendu pas un mot de ce qu’il disait – et lorsque le bon maître nous tournait le dos et se mettait à tracer des signes algébriques sur le tableau, je transférais avec effort mon regard halluciné sur celui-ci, et je voyais aussitôt l’objet de mes rêves se dessiner sur le fond noir – le noir a toujours eu sur moi, depuis, l’effet le plus heureux. Lorsque le professeur, flatté par mon attention fascinée, me posait parfois une question, je m’ébrouais, je roulais des yeux ahuris, j’adressais au postérieur de Mariette un regard de doux reproche, et seule la voix vexée de M. Valu me forçait enfin à revenir sur terre.
Romain Gary, La promesse de l’aube, Gallimard, coll. « Folio », 1980, 390 p, Amazon.