New York, un écrivain, un carnet – un bleu et pas un rouge –, le hasard, une pointe de mystère et une mise en abîme, on est bien chez Paul Auster. Installez-vous confortablement et profitez de ce bon moment.

Tout le monde connaît l’histoire du gars qui sort acheter des cigarettes et qui ne revient jamais. Eh bien c’est un peu cette histoire, mais en plus subtil. Sidney Orr, le personnage écrivain de Paul Auster, va se lancer dans l’écriture d’un roman dont l’idée lui a été soufflée par son ami et l’ami de sa femme – vous verrez, ce n’est pas anodin – lui aussi écrivain John Trause. Il s’agit de reprendre à son compte une anecdote racontée par Sam Spade le détective du roman de Dashiell Hammett Le faucon de Malte1. Elle est connue sous le nom de “parabole de Flitcraft”. Flitcraft, raconte Spade, est un homme bénéficiant d’une vie confortable, d’une famille, de l’argent, bref quelqu’un qui, comme l’on dit, a tout pour être heureux. Mais un jour, il quitte son travail et disparait. Que lui est-il arrivé ? Eh bien en allant déjeuner, il manquât d’être tuée par la chute d’une poutre tombée d’un immeuble en construction. Le souffle de la mort lui fit prendre conscience que l’existence peut s’arrêter d’un moment à l’autre et qu’il est temps de mettre de côté sa vie rangée pour en vivre une nouvelle. La morale – puisqu’il s’agit d’une parabole c’est-à-dire d’une allégorie – ne se trouve paradoxalement pas dans cette prise de conscience subite, mais dans la fin de l’histoire. Lorsque Spade croise Flitcraft des années plus tard, il vit sous le nom de Charles Pierce – ce qui semble être une référence au philosophe Charles Sanders Peirce – dans une autre ville. Il a un nouveau travail, une nouvelle femme et un bébé. Bref, Flitcraft a quitté sa précédente vie pour en recréer une similaire, il est revenu à sa vie d’avant.

Il faut dire que Sidney Orr est lui aussi un miraculé. Il avait été annoncé comme mourant par les médecins de l’hôpital dans lequel il a séjourné plusieurs mois suite à une crise qui le fit s’effondrer et chuter lourdement dans l’escalier du métro. Ce thème de la mort ou du destin – encore un thème cher à l’auteur – est le sujet de cette mise en abîme dans laquelle Sidney Orr exploite la “parabole de Flitcraft” en écrivant un livre sur un éditeur, Nick Bowen, découvrant un livre de Sylvia Maxwell intitulé La Nuit de l’oracle – qui, vous l’aurez remarqué, est le titre du livre écrit par Paul Auster. Le lecteur suit ces histoires gigognes qui se reflètent à l’infini un peu à la manière d’un kaléidoscope.

Je suis admiratif devant la construction de ce livre. Il ne se limite pourtant pas un procédé, l’histoire ou plutôt les histoires sont extrêmement bien menées et passionnantes. La construction n’engendre pas de lourdeur ou de complexité superficielle, mais donne de la profondeur au roman. Auster réussi donc parfaitement à exploiter l’idée de Trause – l’anagramme d’Auster –, cette parabole de Flitcraft, dans un livre à la fois riche et accessible que j’ai adoré.


Paul Auster, La Nuit de l’oracle, traduit par Christine Le Boeuf, Actes Sud, 2004, 220 p, Amazon.


  1. Dashiell Hammett, Le faucon de Malte, Gallimard, 1999, 232 p, Amazon↩︎