Prenez un fond de 19841, ajoutez-y une bonne dose de Fahrenheit 4512, assaisonnez d’une pincée de Kafka, modernisez le tout et vous obtenez Permission. Mon raccourci est un peu facile mais il s’agit bien, comme pour ses illustres prédécesseurs, d’une dystopie. L’histoire se déroule ici au sein d’une entreprise qui officie dans le domaine politique. Elle joue un rôle dans le processus complexe des négociations entre états – nous en savons quelque chose en tant qu’européens.Le protagoniste de cette histoire est chargé d’établir les comptes rendus des débats et des réunions. Il va sans dire que ses écrits se doivent d’être impartiaux et rédigés de façon formelle. L’écriture réside donc au coeur de son activité professionnelle. Il l’utilise également à des fins personnelles puisqu’il rédige également un journal. C’est au travers de ce journal que nous découvrons l’histoire.

A mon avis, ce choix narratif n’est pas sans conséquences négatives. Dans cet univers dystopique où les sentiments sont réduits à leur plus simple expression et où la littérature de fiction n’existe pas – ou plus –, la prose d’un journal n’est pas forcément la plus exaltée et la plus enthousiasmante pour le lecteur. Elle s’apparente un peu à un long compte rendu – normal me direz-vous puisque c’est son métier. Oui mais ce procédé qui a du sens et qui joue un rôle non négligeable dans la perception par le lecteur de l’univers n’en est pas moins assez rébarbatif. Le travers est le même que lorsque l’on tente la délicate entreprise de confier la narration à un enfant (Le bizarre incident du chien pendant la nuit3, Extrêmement fort et incroyablement près4 près ou encore L’attrape-coeurs5 en sont des exemples pas forcément ratés). Le registre narratif limité est un carcan, une contrainte pour l’auteur qui peut vite devenir un gros inconvénient pour le lecteur. J’en parle en connaissance de cause car j’ai abandonné la lecture avant la fin, dommage. Permission est un roman d’anticipation dystopique intéressant et bien réalisé mais que je n’ai malheureusement pas trouvé passionnant.


Céline Curiol, Permission, Actes Sud, 2010, 253 p, Amazon.


  1. George Orwell et Amélie Audiberti, 1984, Gallimard, coll. « Folio », 1972, 438 p, Amazon↩︎

  2. Ray Bradbury, Fahrenheit 451, traduit par Jacques Chambon, Gallimard, coll. « Folio SF », 2000, 224 p, Amazon↩︎

  3. Mark Haddon, Le bizarre incident du chien pendant la nuit, traduit par Odile Demange, Pocket, 2005, 345 p, Amazon↩︎

  4. Jonathan Safran Foer, Extrêmement fort et incroyablement près, Points, 2007, 460 p, Amazon↩︎

  5. Jerome David Salinger, L’attrape-coeurs, traduit par Annie Saumont, Pocket, 2002, 252 p, Amazon↩︎