Lac quel titre étrange. C’est paradoxalement un titre court – 3 lettres et pas de sous-titre, on peut difficilement faire mieux – et très énigmatique, il ne nous donne aucune indication sur le contenu du livre. C’est en fait un titre très echenozien (Nous trois, Un an, Au piano, Ravel, Courir, Des éclairs) ou plus généralement emblématique des Éditions de Minuit. Il ressemble à sa prose, raffinée et distillée pour obtenir un texte ciselé et épuré. Il faut lire lentement, savourer chaque phrase pour en apprécier le juste équilibre, le raffinement dans le choix des mots et dans leur agencement. Il n’y en a ni trop, ni pas assez, juste ce qu’il faut, c’est du très bon “minimalisme”.
L’histoire est une histoire d’espionnage, vous savez, celles où l’on croise des agents doubles. Pourtant on est bien loin des S.A.S. car dans ce roman l’histoire pourrait paraître accessoire. En fait, Echenoz s’empare volontairement d’un sous-genre romanesque, le roman d’espionnage, pour tisser sa trame et parfois le tourner en dérision – l’utilisation de grossiers stéréotypes et de procédés loufoques comme les mouches et la communication par prospectus en sont la preuve.
Ici, ce n’est pas l’écriture qui est au service de l’histoire mais l’histoire qui est au service de l’écriture. Ne vous méprenez pas, elle n’est pas pour autant ennuyeuse et est même plutôt bien ficelée et intéressante. Jean Echenoz offre un bon divertissement servi par une prose délicate sur un ton volontairement neutre. Je repense avec écoeurement à tous les pavés étouffants – n’est pas Proust qui veut – que j’ai avalé en sautant des passages pour abréger mes souffrances – aïe aïe aïe, j’ai encore le souvenir douloureux du Jonathan Strange & Mr Norrell de Susanna Clarke. Echenoz m’a amené à reconsidérer la lecture; la vie est trop courte – et il y a tellement mieux à faire – pour perdre son temps à lire des phrases dont le seul intérêt est de remplir des pages. Lisez du concentré de littérature, lisez Echenoz.
Jean Echenoz, Lac, Minuit, 2008, 190 p, Amazon.