Le titre Il neigeait vient de l’anaphore (figure de style – remise au goût du jour par François Hollande lors du débat de l’entre-deux-tours des élections présidentielles 2012 “Moi président de la République, […]” – qui consiste à répéter un même segment en tête d’un vers ou d’une phrase afin d’obtenir un effet de symétrie ou d’insistance) utilisée par Victor Hugo dans un poème du recueil Les Châtiments intitulé l’Expiation :

Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l’empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
[…]

Le contexte historique est posé, le livre évoque la fin de la campagne de Russie, depuis l’entrée dans Moscou (septembre 1812) jusqu’au retour de Napoléon à Paris (décembre 1812). Après La Bataille, Patrick Rambaud poursuit son travail romanesque sur Napoléon en évoquant un épisode douloureux de son règne – le début de la fin. Cette fois, ce n’est pas une bataille, c’est un fiasco, une véritable fuite pour échapper à deux poursuivants, les russes mais surtout le terrible hiver. Napoléon si perspicace quand il s’agit de jauger les hommes et leurs intentions, d’anticiper les manoeuvres d’une armée ou d’étudier la topographie d’un terrain a sous estimé un phénomène climatique banal dans ces contrées. Banal car fréquent mais l’adjectif banal ne doit pas amoindrir la férocité d’un tel hiver qui fut d’une extrême rigueur. Des températures descendant en dessous de - 20 degrés, du vent, de la neige, de la terre dure comme de la pierre ou rien ne subsiste, des cours d’eau charriant des glaçons sont des ennemis effroyables pour une armée épuisée, affamée et mal équipée.

Il faut rendre hommage à l’auteur des Chronique du règne de Nicolas 1er1 d’avoir su si bien dépeindre toute l’horreur de la situation. Comme dans La Bataille, il a la même volonté d’offrir au lecteur plusieurs points de vue sur la situation; mais cette fois, j’ai trouvé le récit moins clair, plus fouillis, moins bien organisé. Peut-être est-ce lié à l’histoire elle-même qui est un sauve-qui-peut, une fuite complètement désorganisée mêlant soldats et civils, loin, bien loin d’un affrontement tactique réfléchi ? A tel point que le nom de Bérézina qui est celui de la rivière qui fut le théâtre de la dernière bataille de la campagne de Russie est passé dans le langage courant pour devenir le synonyme d’un échec total et cuisant, celui d’une déroute, d’une débâcle.

Cette fois, le côté sombre de l’empereur apparaît au grand jour, Patrick Rambaud insiste sur sa mégalomanie. Pourtant il nuance, il montre aussi qu’il doute, discrètement évidement, il ne s’en ouvre pas, même à ses plus proches conseillers. Tout se passe en privé, dans sa tête, en songeant au destin tragique de Charles XII, il trouve des similitudes troublantes avec les évènement qu’il est train de vivre. Il montre aussi l’isolement de Napoléon, il le lui fait même tenir ce discours prémonitoire : “Voilà ce qui arrive quand je m’éloigne trop longtemps. Tout repose sur moi. Sur moi seul. Rien de ce que j’ai entrepris ne me survivra ?”

Moins réussi et moins percutant que La Bataille, il n’en reste pas moins un très bon livre qui se lit d’une traite tant l’histoire est poignante tant l’horreur endurée par ses hommes est inimaginable – et puis on va bientôt fêter le bicentenaire.


Patrick Rambaud, Il neigeait, Le Livre de Poche, 2002, 290 p, Amazon.


  1. Patrick Rambaud, Chronique du règne de Nicolas 1er, Le Livre de Poche, 2008, 160 p, Amazon↩︎