Le roman raconte presque rien ou presque tout selon le point de vue, la perspective que l’on adopte. D’ailleurs, Jean-Philippe Toussaint annonce la couleur dès la première phrase du livre :
C’est à peu près à la même époque de ma vie, vie calme où d’ordinaire rien n’advenait, que dans mon horizon immédiat coïncidèrent deux évènements qui, pris séparément, ne présentaient guère d’intérêt, et qui, considérés ensemble, n’avaient malheureusement aucun rapport entre eux.
Il comprend deux parties relatant sur un plan temporel une fraction de la vie d’un homme. La première est animée, originale, parfois drôle, frisant l’absurde et adoptant un ton volontiers sarcastique. Les diverses péripéties qui y sont relatées ont pour épicentre une auto-école. Dans la seconde, l’action est moins présente, l’ambiance est plus sombre, clairement mélancolique et le ton est parfois poétique. La ligne de partage des eaux entre ces deux parties n’est pas aussi large que l’on pourrait le croire comme l’illustre magnifiquement le passage suivant :
Les conditions les plus douces pour penser, en effet, les moments où la pensée se laisse le plus volontiers couler dans les méandres réguliers de son cours, sont précisément les moments où, ayant provisoirement renoncé à se mesurer à une réalité qui semble inépuisable, les tensions commencent à décroître peu à peu, toutes les tensions accumulées pour se garder des blessures qui menacent – et j’en savais des infimes –, et que, seul dans un endroit clos, seul et suivant le cours de ses pensées dans le soulagement naissant, on passe progressivement de la difficulté de vivre au désespoir d’être.
L’entretien avec l’auteur situé à la fin du livre nous apprend, entre autres choses, que, comme il faut bien nommer et classer chaque chose – ça c’est moi qui le dit –, la presse a cherché à qualifier le genre créé par Jean-Philippe Toussaint et certains de ses contemporains; cette volonté a été relayée par son éditeur de l’époque Jérôme Lindon, le patron des Éditions de Minuit. D’une formule assez claire mais vous en conviendrez un peu lourde comme “Le nouveau “nouveau roman”” à une plus réussie comme “roman minimaliste” c’est finalement l’auteur qui a le dernier mot 18 ans après en puisant cette expression dans le mot “infinitésimal” utilisé dans la dernière phrase de son livre Faire l’amour1:
Le terme “minimaliste” n’évoque que l’infiniment petit, alors qu’“infinitésimaliste” fait autant référence à l’infiniment grand qu’à l’infiniment petit : il contient les deux infinis qu’on devrait toujours trouver dans les livres.
Jean-Philippe Toussaint, L’appareil-photo, Minuit, coll. « Double », 2007, 140 p, Amazon.