C’est un conseil de mon libraire que je vous présente à mon tour. Même si je l’écoute toujours religieusement, cette fois, il n’a pas eu besoin d’insister bien longtemps. Sa technique est simple et déjà éprouvée, il m’a simplement mis un exemplaire entre les mains. Après avoir apprécié l’élégant format à l’italienne, identifié méthodiquement – grâce aux indications de la quatrième de couverture – les personnages composant le portrait de famille de la couverture, apprécié la texture et le poids du beau papier et feuilleté quelques pages en admirant le style d’un oeil déjà conquis, je me suis dirigé d’un pas décidé vers la caisse. Il faut dire que la couverture est alléchante, il y a du beau monde: les peintres Georges Braque et Pablo Picasso, le musicien Erik Satie, les écrivains Guillaume Apollinaire et Alice B. Toklas et les amateurs et collectionneurs d’art Gertrude et Leo Stein.
Une absinthe spéciale à base de racines que l’on ne trouve qu’au sommet d’une montagne isolée, en Hongrie.[…] Cette absinthe permet à celui qui l’ingère de pénétrer dans n’importe quelle peinture à l’huile.
C’est le point de départ d’une enquête folle et complètement surréaliste dans laquelle notre club d’intellectuels va se lancer sur les traces d’une mystérieuse meurtrière faisant des ravages dans le milieu de la peinture. Nous sommes en 1907 et des corps sont retrouvés mutilés et étrangement couverts d’importantes traces de peinture bleue. A côté de l’enquête et de cette histoire d’une extrême originalité, le lecteur évolue au sein d’un univers culturellement très riche. C’est un plaisir de découvrir la vie de ces personnages historiques. Au delà de leur rôle de catalyseur du milieu de l’art, la relation entre Gertrude et Leo Stein est croustillante et s’étale tout au long du livre comme un fil rouge. L’auteur nous montre également comment la relation et la collaboration entre le fougueux Picasso et le réfléchi Braque donnera naissance au cubisme. Cette gestation est une véritable histoire dans l’histoire qui démontre le travail de recherche réalisé par l’auteur.
Quand on s’attaque au monde de la peinture en convoquant certains des plus grands peintres on a plutôt intérêt à tenir la route graphiquement. Le new-yorkais Nick Bertozzi fait mieux que cela en livrant un travail graphiquement abouti. Une mention spéciale peut être accordée à certains gros plans au cadrage très inspiré mais aussi et surtout au traitement des couleurs. Chaque chapitre change de couleur dominante pour produire un effet original. Je ne peux que rendre hommage à mon libraire qui m’a conseillé ce travail de grande classe. Si vous cherchez quelque chose d’exclusif loin des poncifs de la bande dessinée, vous pouvez vous aussi vous laisser tenter.
Nick Bertozzi, Le salon, Cambourakis, 2011, 178 p, Amazon.