C’est à Balzac que nous devons l’idée de ce livre :
Pas une tête de femme, des canons, des chevaux, deux armées, des uniformes ; à la première page le canon gronde, il se tait à la dernière ; vous lirez à travers la fumée, et, le livre fermé, vous devez avoir tout vu intuitivement et vous rappeler la bataille comme si vous y aviez assisté.
Il en parlait lui-même en ces termes dans une lettre adressée à Madame Hanska. Intrigué qu’il n’ait pas mené ce projet à bien, Patrick Rambaud a repris le flambeau, relevé le défis. Et de quelle façon, ce livre est génial ! En seulement trois cent pages il nous transporte sur le champ de bataille aux côtés de Napoléon. Mais pas seulement, le lecteur va discuter avec les maréchaux, combattre auprès des cuirassiers et des voltigeurs et même vivre le combat de l’extérieur grâce à un spectateur de marque, Marie-Henri Beyle plus connu sous son nom de plume Stendhal. On a l’impression de se déplacer pour tour à tour se retrouver au front en plein coeur de la bataille où les hommes se livrent une lutte enragée puis à l’arrière sous la tente impériale où la tension est palpable lorsqu’il faut avaler les mauvaises nouvelles, définir la stratégie et ordonner.
Quelle maîtrise éblouissante pour passer d’une perspective à l’autre de façon aussi fluide et naturelle. La multiplication des points de vues n’est pas un artifice littéraire, elle offre un panorama complet de la bataille d’Essling (Essling se situe à la périphérie de Vienne en Autriche sur les rives du Danube non loin du célèbre plateau de Wagram), une vision à 360 degrés. Ce n’est pas la plus célèbre des batailles mais, selon l’auteur, elle est emblématique car elle ouvre « l’ère des grandes hécatombes » et constitue une première fissure dans le lustre de l’empire. La guerre nous explose à la figure, nous prend au coeur, aux tripes, nous dégoute, nous exalte, le caractère des hommes se révèle, l’expérience est inoubliable. Patrick Rambaud prend le contrepied des biographies exhaustives pour se focaliser sur un point précis de l’histoire et en explorer toutes les dimensions. N’oublions pas que c’est un roman – et c’est un chance car j’aurais piqué du nez en lisant le récit plat d’une bataille – mais extrêmement bien documenté comme en témoigne les notes situées à la fin du livre.
Il est à noter que ce roman, couronné par le prix Goncourt, a été suivi de deux autres pour former une trilogie. Il neigeait raconte la fin de la campagne de Russie, la fameuse bataille de Bérézina, L’absent l’exil sur l’île d’Elbe. Un quatrième volume paru plus tard, Le Chat botté1, remonte le temps pour s’intéresser aux premiers pas du futur empereur. Enfin, je signale pour les amateurs que le roman dont je vous parle, La bataille, vient d’être adaptée en bande dessinée2 – pour ne rien vous cacher, c’est même grâce à cette adaptation que je me suis intéressé au livre, bonne émulation. Vous n’avez donc plus aucune excuse.
Patrick Rambaud, La Bataille, Le Livre de Poche, 1999, 284 p, Amazon.