Jean-Philippe Toussaint est un grand écrivain; voilà c’est dit. C’est peut-être aussi un grand réalisateur de cinéma mais je ne peux pas me prononcer car je n’ai pas vu ses films. Pour moi, il incarne les Éditions de Minuit. Son écriture est épurée, souple et agréable. Si je devais la caractériser de façon imagée, j’hésiterais entre deux visions qui pourraient paraître antinomiques. La première serait celle d’une mousse légère, aérienne bien qu’onctueuse. On prend plaisir à la savourer sans en subir la lourdeur. La deuxième serait celle d’un élixir, d’une boisson, peut-être d’un vin ou d’une eau-de-vie, quelque chose de travaillé, de distillé longuement. Il n’y en a pas beaucoup, on la déguste du bout des lèvres, par petite quantité, en la faisant rouler longuement dans sa bouche pour tenter d’en appréhender la complexité et la subtilité. Car l’une des choses que nous apprenons dans ce livre est qu’écrire ne s’improvise pas, il faut allier l’urgence et la patience.

Il faut, encore et toujours, préciser, couper, simplifier pour rendre fluides et aériens les blocs de texte déprimants que l’on a sous les yeux. […]
L’idée, c’est de durcir toujours les conditions d’entraînement pour n’atteindre l’aisance que le jour venu, c’est s’entraîner à tirer des penaltys avec des chaussures de ski […].

Jean-Philippe Toussaint évoque son métier d’écrivain et quelques-uns de ses “trucs” et de ses petites manies. Il ne prend pas de notes ou très peu

Il me semblait en effet qu’une idée, aussi brillante fût-elle, n’était pas vraiment digne d’être retenue si, pour simplement s’en souvenir, il fallait la noter.

Il évoque également la genèse de sa vocation suite à une lecture de Crime et Châtiment lors de laquelle il a été ensorcelé et émerveillé par les prolepses (sauts en avant dans le temps, brèves incursions dans le futur) maniées avec dextérité par Dostoïevski : “Cette brève intrusion de l’avenir dans le présent induit pour le personnage un sentiment de prémonition, et implique, pour l’auteur, une idée de destin.” Ce n’est pas la seule lecture qu’il mentionne, il nous parle de Proust et de Beckett – autre auteur emblématique des Éditions de Minuit – qu’il a rencontré et qu’il admire. Il en parle avec justesse et réussit l’essentiel, nous donner envie de lire et de découvrir des livres importants qui compteront dans notre vie : “Les meilleurs livres sont ceux dont on se souvient du fauteuil dans lequel on les a lus.”

Enfin, le tout est saupoudré d’anecdotes, de petits moments qui, racontés avec tant de simplicité et tant de charme sont un régal. Tout amateur de littérature se souviendra longtemps du fauteuil dans lequel il aura lu ce petit livre inclassable.


Jean-Philippe Toussaint, L’urgence et la patience, Minuit, 2012, 106 p, Amazon.