J’avais attendu longtemps avant de lire ce livre, il était là tout proche prenant, depuis de longs mois déjà, la poussière sur l’une de mes étagères. C’est un livre que j’avais acheté d’occasion, je ne sais pas ce qui a poussé son ancien propriétaire à le revendre mais je ne pense pas que ce soit lié à la qualité du texte. Après l’avoir lu, j’ai dû encore attendre longtemps avant de m’atteler à la rédaction de ce billet tant la claque je j’avais reçu lors de la lecture des âmes grises était grande.
Je ne savais pas comment aborder le sujet. Je ne le sais toujours pas mais j’ai le réconfort de m’être donné le temps d’y réfléchir. Un petit village pendant la première guerre mondiale, tout proche du front. La vie de ce village ou transpire le mal-être pour tous les hommes. Ce malaise de ne pas être au front, mais un soulagement parfois, lorsque l’on voit débarquer ces gueules cassées, ces chairs meurtries. Soulagement bien éphémère qui tourne vite à l’aigre sous les assauts du remord. Cette proximité de la mort pèse même si elle n’est pas au coeur de l’histoire mais là toute proche, menaçante, vivre près d’une précipice n’est pas simple.
La vie dans ce village est bouleversée par une triste affaire, un meurtre à vrai dire, comme si la guerre ne faisait pas assez de victimes. Des hommes et de femmes englués dans cette histoire: le juge, le procureur et le narrateur…
Le schéma narratif est implacable, Philippe Claudel fait preuve d’une parfaite maîtrise, impressionnante. Le lecteur ne peut poser le livre avant d’avoir atteint la dernière page. Le récit, l’histoire est d’une intelligence rare, on est bien loin des blockbusters que l’on a trop l’habitude d’avaler sans les savourer comme on mange dans un fast-food. Et, comme si ça ne suffisait pas, il y a les ambiances, le langage, chaque mot est choisi avec soin pour qu’il ait le plus d’impact possible, pour nous faire ressentir, au plus profond de nous, tout le poids de cette histoire. Il est donc possible de réaliser une oeuvre à la fois intelligente, belle et passionnante. C’est un livre qui restera, l’un de ceux qui deviendra, sans nul doute, un classique.
Philippe Claudel, Les âmes grises, Le Livre de Poche, 2006, 279 p, Amazon.