Confortablement installé sur le canapé, j’observe les alentours et me rends compte que ce salon est exactement l’endroit que je cherchais depuis longtemps. Un endroit secret, tapi dans un creux du monde, exactement comme celui-là. Mais jusqu’ici ce lieu n’existait que dans le secret de mon imagination. Je n’arrive pas encore à croire tout à fait qu’il existe réellement. Je ferme les yeux, inspire profondément, et il s’installe doucement en moi, comme un doux nuage. C’est une sensation agréable. Je caresse lentement de la paume le revêtement crème du canapé, je me lève, me dirige vers le piano, soulève le couvercle, pose mes dix doigts sur les touches un peu jaunies. Puis je le referme, fais le tour de la pièce en foulant le tapis ancien aux motifs de grappes de raisin. J’allume le lampadaire, l’éteins. J’examine les peintures qui ornent les murs. Puis je me rassieds dans le canapé, et me plonge dans ma lecture.

Un refuge, une oasis c’est ce qu’offre ce livre d’Haruki Murakami. Je l’avais déjà évoqué lorsque j’avais parlé de La course au mouton sauvage, mais je me fais les mêmes réflexions lorsque je lis Kafka sur le rivage. Il y a deux choses que j’apprécie particulièrement chez Murakami. Le récit du quotidien, les gestes simples de la vie de tous les jours deviennent un plaisir de lecture. L’insinuation du fantastique dans ce quotidien.

Il s’agit d’une relecture de tragédie grecque et plus précisément de celle d’Oedipe. La trame de l’histoire est calquée sur ce mythe et se divise en deux intrigues distinctes auxquelles sont consacrés alternativement les chapitres du livre. Pourtant il existe bien des ponts entre elles et Murakami nous le fait bien comprendre. Par exemple, dans un chapitre, il emploie un mot suffisamment peu courant pour qu’il soit remarqué, tel une balise au milieu du texte, par le lecteur. Il est si peu courant qu’il est encore plus improbable qu’il soit utilisé dans deux récits séparés par le temps et l’espace. Ce mot est “duralumin”. Il désigne un métal, un alliage d’aluminium et de cuivre. Dans le second chapitre il est utilisé pour caractériser un éclat aperçu brièvement dans le ciel, certainement celui d’un avion B29. Le fuselage de ces avions était fait de ce matériau, son usage dans le texte est donc parfaitement justifiée. Dans le chapitre suivant il sert à illustrer l’éclat des boucles d’oreilles en métal qu’arbore une jeune fille. Ici il est utilisé dans une comparaison pour définir ce qu’évoque l’éclat de ces boucles, son utilisation et donc ici plus surprenante. Ce seul mot permet de rapprocher les deux histoires, d’instiller le doute dans l’esprit du lecteur ou de lui confirmer subtilement qu’il existe bien un lien entre elles.

Tout le monde ne peut pas apprécier Murakami et en particulier ce livre. Il faut accepter de se laisser embarquer, de lâcher prise, de ne pas tout comprendre, de lui donner la main et de le suivre en toute confiance dans les méandres de l’onirisme.


Haruki Murakami, Kafka sur le rivage, traduit par Corinne, 10/18, 2007, 637 p, Amazon.